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23 octobre 2015 5 23 /10 /octobre /2015 06:12

Ambroise Croizat, le bâtisseur de la sécurité sociale

  • La Sécurité sociale a 70 ans. Cet anniversaire sera célébré mardi à la Mutualité à Paris en présence du chef de l'Etat alors que le projet de loi santé fera l'objet d'un vote solennel.

Une cérémonie à laquelle l'historien Michel Etiévent a refusé de participer dénonçant « une manipulation de l'Histoire ». Pour le biographe du fondateur de la Sécurité sociale, le ministre communiste Ambroise Croizat est une nouvelle fois le grand oublié.

Michel Etiévent que pensez-vous des commémorations du 70e anniversaire du modèle social français ?

Le problème est qu'il est médiatisé par ceux qui s'inscrivent dans le sillage de 70 ans de démantèlement de la Sécurité sociale. Et qu'une fois encore, la gauche au pouvoir comme l'a fait la droite par le passé d'ailleurs, utilise la figure de Pierre Laroque. Or, faut-il le rappeler, et malgré tout le travail qui a été fait, Pierre Laroque n'était qu'un fonctionnaire d'Ambroise Croizat, le bâtisseur. Cette utilisation relève de la manipulation. Cela permet d'une part de ne pas évoquer les actions des communistes dont celles d'Ambroise Croizat et de François Billoux, ministre de la Santé de l'époque. Et d'autre part d'effacer la notion même de construction collective de la Sécurité sociale. Car celle-ci est une fabrication du peuple de France. De tous ses ouvriers, essentiellement cégétistes qui ont bâti les caisses dans un enthousiasme absolument indescriptible.

Quelle est la genèse de la Sécurité sociale ?

C' est une longue bataille qui nous vient du fond des siècles. Depuis le moment où le peuple a voulu en finir avec la charité pour aller vers la solidarité. Elle se nourrit de la Révolution française. Dans l'un des articles de la Déclaration des Droits de l'Homme de 1793, il est cité la nécessité du droit à la santé en ces termes :
« les secours publics sont une dette sacrée ». Puis, il y a eu le combat des mutuelles au 19e siècle, des syndicats et enfin des assurances sociales. Mais le socle fondateur est le programme du Conseil national de la Résistance qui en 1944 stipule que devra naître une Sécurité sociale. A cette époque Ambroise Croizat est à Alger avec le général De Gaulle. Il va alors s'emparer de cette phrase du CNR : « nous combattants de l'ombre exigeons une véritable démocratie sociale impliquant un plan de sécurité sociale qui permettra de donner des moyens d'existence à tous ceux qui ne peuvent se les procurer par le travail avec gestion par les intéressés ». Entouré de résistants et de parlementaires, il va entamer une réflexion. Puis, l'ordonnance 4 octobre 1945 va définir l'existence de la Sécurité sociale. Une ordonnance qui ne comportera que quatre pages. Restera donc à construire le système. Et ce sera l'œuvre principale du peuple de France qui se fera en huit mois seulement. 138 caisses et 113 centres d'allocations familiales sont bâties bénévolement par ce petit peuple qui va désormais gérer son nouveau droit à la santé.

Pourquoi s'être intéressé à l'homme auquel vous avez consacré une biographie ?

Je suis attaché au personnage pour des raisons qui tiennent notamment à mon enfance. J'ai été élevé dans la maison où il est né à Notre-Dame-de-Briançon (Savoie). Et très tôt j'ai entendu parler de cet homme. Ceux qui m'en parlaient avaient les yeux qui pétillaient. Tout simplement parce qu'il avait fait renaître un sentiment de dignité dans le quartier en créant la Sécurité sociale mais pas seulement. Les Comités d'entreprise vont aussi voir le jour et avec eux, l'opportunité de partir en vacances, la possibilité de lire ou encore d'obtenir des bourses scolaires par exemple...

Pour Ambroise Croizat, la création de la Sécurité sociale s'inscrit dans la suite logique de son engagement pris très jeune...

En 1906, son père lance la première grande grève en France justement pour la protection sociale. Il est licencié non sans avoir obtenu malgré tout la création de la première caisse de secours, les prémices de la Sécurité sociale. Sa famille s'installe alors dans la région de Lyon. Le jeune Ambroise adhère à la CGT à 13 ans puis au Parti communiste français. Il va ainsi poursuivre le combat de son père. Il sera élu député de Paris, puis déporté par Pétain, avant de devenir ministre du Travail à la Libération.

Un ministre du Travail qui en deux ans seulement va laisser un héritage social considérable…

Effectivement. Mais s'il est au gouvernement à la Libération et qu'il crée la Sécurité sociale, c'est parce qu'il existe à cette époque un vrai rapport de force.
Et celui-ci est simple : 29% des voix au PCF, 5 millions d'adhérents à la CGT, une classe ouvrière grandie par sa résistance et un patronat mouillé par sa collaboration. Mais l’œuvre d’ Ambroise Croizat ne s’arrête pas à la Sécurité sociale. Il est à l’origine de bien d’autres conquêtes comme la mise en place de la médecine du travail, la prévention dans l'entreprise, mais aussi les statuts différents de la fonction publique avec Maurice Thorez, ou encore ceux des électriciens gaziers avec Marcel Paul...

Alors pour quelles raisons Ambroise Croizat est-il le grand oublié de l'Histoire ?

Tout d'abord parce qu'il est communiste. Et qu'on ne veut pas attribuer une conquête aussi énorme que celle-ci à un communiste. D'ailleurs, il répétait souvent : « ne dites jamais acquis social, dîtes conquis social pour bien montrer que les choses ne sont jamais acquises mais qu'elles sont conquises ». Et puis à partir du moment où les Etats-Unis créent le syndicat FO en France pour casser l'unité ouvrière, on voit bien dès la fin de 1947, dès l'éviction des ministres communistes, que les attaques commencent. On exclut alors complètement Croizat de la mémoire. Il disparaît des manuels scolaires en pleine Guerre froide. Il a fallu des années de bataille pour qu'enfin hommage lui soit rendu.

Pour aller plus loin

Autobiographie. « Ambroise Croizat ou l'invention sociale » de Michel Etiévent. Disponible auprès de l'auteur :
Michel Etiévent 520 avenue des thermes 73600 Salins les Thermes. Règlement 25 euros+5 euros de port à son ordre.
Documentaire. Diffusion courant octobre sur France 3 du documentaire de 52m « La sociale » de Michel Etiévent et Gilles Perret avant la sortie en salles d'une version longue.
Conférence. Le 2 décembre, l'historien animera une rencontre sur Ambroise Croizat à la Médiathèque de l'Alcazar (Marseille 1er) 58 cours Belsunce. 04 91 55 90 00

Et pourtant, il est toujours d'une très grande modernité...

Ambroise Croizat fait partie de ces hommes issus de la Libération qui ont su mettre l'Homme au centre de leurs choix politiques. Il disait « ce n'est pas les banques qu'on veut sauver, c'est l'Homme ». Sa force est d’avoir su faire le lien entre le social et le politique. « Si on veut une économie de qualité à la hauteur des besoins d'une nation il faut un véritable statut social à la hauteur des besoins des hommes » repétait-il. L'idée était de protéger l'individu de sa naissance à la mort. Ce qu’il a d’ailleurs fait avec le triplement des allocations familiales par exemple. Puis en lançant les lois sur la formation professionnelle, puis les conventions collectives, les statuts, la prévention dans l'entreprise... Et pour finir, la généralisation des retraites. Tout cela reste d'une actualité extrêmement brûlante.

Et pourtant la casse du système a commencé il y des décennies…

En effet, elle débute à partir des années 1958, essentiellement avec le général De Gaulle. Au départ, les caisses de Sécurité sociale selon les vœux du CNR, étaient gérées par les ouvriers. Trois quarts des sièges dans les Conseils d'administration étaient attribués aux salariés, un quart aux patrons. De Gaulle commence par supprimer l'élection du directeur par le Conseil d'administration. Celui-ci sera désormais nommé par l'Etat. Deuxième chose, il établit un contrôle préalable des budgets. Et l'Etat commence à s'en emparer. Avec les ordonnances de 1967, le général De Gaulle coupe la sécurité sociale en tranches. Alors que tous les risques sociaux sont dans la même caisse, ce qu'on appelait l'unicité, il organise trois grandes caisses différentes. Il supprime les élections et surtout établit le paritarisme. Après, c'est une avalanche de plans successifs : les plans Barre, Dufoix, Juppé, Raffarin... On établit les franchises, on dérembourse les médicaments, on instaure le forfait hospitalier et on arrive aujourd'hui à une situation où près de 30% des Français ne peuvent pas, renoncent ou hésitent à se soigner pour des raisons financières. C'est 70 ans de casse du système de protection sociale. Et au fond, ces commémorations sont une vaste fumisterie, d'une hypocrisie terrible.

Alors dans un tel contexte, comment saluer le travail d’Ambroise Croizat ?

Le meilleur hommage qu'on puisse lui rendre, c'est dans la rue le 8 octobre pour défendre cette immense conquête. Et de garder en tête ses paroles : « Jamais nous ne tolérerons qu’un seul des avantages de la Sécurité sociale soit mis en péril. Nous défendrons à en perdre la vie et avec la plus grande énergie cette loi humaine et de progrès ». Afin que la Sécurité sociale ne soit pas une coquille vide livrée au privé mais qu'elle reste ce que ces femmes et ces hommes de la Libération ont voulu qu'elle soit : un vrai lieu de solidarité, un rempart contre la souffrance, le rejet et l'exclusion.

Mais comment résister en 2015 ?

Il existe aujourd'hui près de deux mille points de lutte en France. Alors comment les fédérer au sein d’un grand mouvement qui pourrait ressembler à celui du Front populaire par exemple ou à celui de la Libération ? Il est évident que rien ne sera possible sans rapports de force. Rapports de force, qui dans l'Histoire, ont permis de faire plier le patronat. Il n 'existe aucun conquis social qui n'ait été précédé d’une intervention populaire.

Entretien réalisé par Sandrine Guidon pour "la Marseillaise"

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