Editorial Par Patrick Apel-Muller
L'élection de Jean-François Copé pour 98 voix d'avance ne résout rien des chantiers devant lesquels se trouve l'UMP. Pour Patrick Apel-Muller, qui signe l'éditode l'Humanité de ce mardi, "la gauche n’a aucune raison de se réjouir de cette situation".
Un spectre plonge l’UMP dans des ténèbres peuplées de poignards, d’urnes baladeuses, d’enveloppes-surprises et de pronunciamiento de couloir. L’esprit frappeur qui hante l’opposition, c’est Nicolas Sarkozy. Non pas celui que certains commentateurs nostalgiques voudraient réanimer et réinstaller sous les ors de l’Élysée. Mais le président dont le bilan se résume en une succession ininterrompue de défaites électorales depuis le succès initial et par une crise d’identité de la droite française. Aussi bien François Fillon que Jean-François Copé ont évité cet inventaire et les choix qu’il engendrerait. L’un et l’autre, tentant de conserver la neutralité bienveillante du conférencier pour banquiers russes ou sud-américains, n’ont eu de cesse d’exalter la profondeur, l’ancienneté ou l’aimable pudeur de leurs sentiments à l’égard du disparu de Neuilly, en se gardant d’évoquer ses options stratégiques. À ce jeu, l’ancien premier ministre a le plus perdu. Péchant parfois par omission, il a accompagné, avec toujours un temps de retard, une droitisation du discours que Patrick Buisson avait structurée durant la campagne présidentielle et que le secrétaire général de l’UMP, surnommé Copé-collé, a décliné en viennoiseries chocolatées.
En fait, le débat qui agite la droite et qui se poursuit depuis le temps de la rivalité Chirac-Sarkozy vient de se révéler comme une fissure. Le parti du chef unique vit désormais les impossibles déchirements des siamois. Avant les brouhahas de l’Hydre ? Sans doute la triste comédie de dimanche ne sera-t-elle pas la meilleure occasion de combler les fossés et de définir une stratégie. Faut-il surenchérir sur le Front national en emmenant l’opposition camper sur les territoires qui furent ceux de la droite d’avant-guerre incarnée par Maurras ? Le gaullisme n’est-il plus qu’un ornement de tribune ? Faut-il lâcher totalement l’ambition d’une maîtrise nationale pour se couler docilement dans la mondialisation capitaliste ? Un grand parti de droite est-il encore envisageable ou faut-il se résoudre au retour au premier plan de ses différentes factions ? L’opposition a ce chantier devant elle.
Si certains de ses vieux sages vont tenter de raccommoder les déchirures et si les poids lourds des grands groupes financiers ne vont pas tarder à réclamer de leurs amis un peu plus de sérieux dans le traitement de leurs affaires politiques, il n’est pas sûr qu’ils puissent se donner du temps. Le FN est aux aguets, qui rêve de constituer la relève et se frotte les mains lorsqu’en chaque occasion les ténors de l’UMP enfourchent ses balais ou lui fournissent de nouveaux bataillons d’amertume.
La gauche n’a aucune raison de se réjouir de cette situation. D’autant que les progressistes les plus lucides mesurent combien la politique d’austérité dans laquelle bascule le gouvernement Ayrault, combien les déceptions accumulées risquent d’apporter de combustible aux flammes frontistes. Les questions en suspens sont chaque jour plus brûlantes : comment répondre aux besoins populaires ? Comment ne pas répéter les mêmes échecs face à la crise ? Comment ouvrir une nouvelle ère pour la citoyenneté ? Comment substituer aux logiques de concurrence et d’affrontements entre les hommes des principes de coopération ? L’avenir n’est pas un sujet à repousser au lendemain.