Il n’est jamais trop tard pour être en retard, semble proclamer le gouvernement français, qui tente de justifier l’appui honteux qu’il a apporté à Ben Ali. Michèle Alliot-Marie argue que c’est par compassion qu’elle avait mis à la disposition de la répression en Tunisie « le savoir-faire, reconnu dans le monde entier, de nos forces de sécurité » aptes à « régler des situations sécuritaires de ce type ». Après cette faillite morale, sa démission du Quai d’Orsay devrait être actée depuis longtemps. Suggérons donc au gouvernement français et à l’Élysée de prendre pour une fois un peu d’avance et de marquer leurs distances avec les régimes autoritaires, et particulièrement avec l’autocrate marocain qui a somptueusement accueilli Nicolas Sarkozy et Madame dans l’un de ses palais pour les fêtes de fin d’année. Dans les semaines qui viennent, on verra s’allonger la liste des responsables politiques, des dirigeants des médias ou de la communication, des grands patrons qui ont appuyé la dictature et en ont profité.
Après l’ignoble, le ridicule. « L’Internationale socialiste a rompu toute relation avec le RCD tunisien et l’a exclu de ses rangs », a annoncé le secrétaire national du PS, Jean-Christophe Cambadélis. Après combien de dizaines d’années de dictature, combien de milliers de morts, combien de jours et de nuits de tortures et de peur ? Il a fallu trois jours à cette instance présidée par le premier ministre grec, Georges Papandréou, pour prendre acte de l’exclusion du pouvoir de leur camarade par le peuple tunisien. Une majorité au Parlement européen a refusé d’adopter une motion de soutien au peuple tunisien. L’addition s’alourdit.
D’autres, à Tunis, tentent de jouer la montre. La colère rebondit contre la tentative de confiscation du gouvernement et du pouvoir par les hiérarques du régime dictatorial. Les postes clés restent aux mains des ministres qui ont conduit la répression : la police, les affaires étrangères, l’armée et les finances occultes de l’État Ben Ali. Dans tout le pays, des manifestations récusent la mascarade, et le puissant syndicat tunisien, ressourcé dans la révolte et qui se débarrasse des caciques corrompus, a demandé à ses membres de se retirer d’un gouvernement qu’il désavoue. Il est sans doute trop tard pour que les dirigeants du parti de Ben Ali parviennent à le ripoliner et à le maintenir au pouvoir. Trop de sang a séché dans les rues et la peur s’évapore. « Être en retard est un acte de violence », écrivait Gandhi. Ceux qui, emplis de nostalgie coloniale, veulent imposer à la Tunisie qu’elle accorde un sursis au bénalisme sans Ben Ali datent visiblement. « Nous avons des droits sur les paroles qui forment et défont l’univers », écrivait Guillaume Apollinaire. C’est ce que proclament aujourd’hui les Tunisiens, les jeunes qui ont fait cette révolution, les opposants qui n’ont pas plié sous la brutalité, les intellectuels qui n’ont pas failli, les syndicalistes, tout ce peuple qui a dû survivre sous le joug.
Cette parole, ils la prennent dans nos colonnes, qui furent si longtemps interdites par la censure tunisienne et qui ont accompagné la résistance des démocrates. Elles leur sont ouvertes. Ils savent que le peuple français regarde avec sympathie leur révolution de jasmin.