EN DÉBAT
MARIE-GEORGE BUFFET
MICHEL GODET
LIÊM HOANG NGOC
FREDERIC BOCCARA
Ce qui nous attend et ce que nous voulons pour l'année 2015
politique économique et sociale
LUNDI, 5 JANVIER, 2015
L'HUMANITÉ
Par Marie-George Buffet, députée Front de gauche, Michel Godet, membre de l’Académie des technologies et essayiste (1), Liêm Hoang Ngoc, membre du bureau national du PS et Frédéric Boccara, membre du conseil national du PCF.
Marie-George Buffet : "Nous sommes nombreux à penser que l’engagement politique n’a de sens que s’il fait tomber les murs et vise à faire vivre tous les possibles ! Alors si en 2015 on se bougeait ? "
Photo : Joël Saget/AFP
- "Et si de nouveau, on rêvait" par Marie-George Buffet, députée Front de gauche
Espérer, rêver, imaginer, créer, progresser, construire : ces mots, les libéraux de tous bords, les mal penseurs experts de l’austérité ont presque réussi à les éradiquer, tant la politique avec eux se conjugue avec régression et conservatisme. D’alternance en alternance, la gauche s’est décomposée, la droite s’est extrémisée. Le débat politique n’est plus un débat de valeurs, n’est plus un débat sur un projet de société, mais une opération de calcul mental se résumant à plus ou moins 3 % de déficit public. Les fondements de notre République, Liberté, Égalité, Fraternité, sont calibrés au minimum dans les carcans de l’économie de marché et des directives européennes. Tout ce qui a fondé l’espérance et le combat de générations, changer le quotidien et bâtir des jours meilleurs, est aujourd’hui tu. Le mot salaire est banni, le mot coût règne. Le travail est malmené par la flexibilité et la compétitivité devenues cultes. Le mot révolution est jeté aux oubliettes de l’histoire, le pragmatisme est la référence. Des hommes et des femmes de par le monde peuvent subir les pires dominations, les pires violences, peu importe si la planète de la finance tient !
Mais tient quoi ? Quel est le sens d’un monde où la seule vision serait d’acheter au plus bas prix le travail des êtres humains pour le revendre au plus bas prix à d’autres de moins en moins rémunérés ? Un monde où les marchés du gaz, du pétrole ou de l’uranium feraient office de cache-misère des droits humains ou du développement durable. Alors, on me demande de parler de ce qui nous attend en 2015 ? Les sondages nous ont déjà suggéré une réponse, les scores de l’UMP et du FN seront conséquents et la gauche va continuer à perdre. En 2017, le pire est à craindre… Sortez les mouchoirs, braves gens et laissez les experts en austérité travailler !
Désolée ! Je n’ai pas envie de regarder passer l’enterrement de l’espoir. Et je crois ne pas être la seule. Nous sommes nombreux à penser que l’engagement politique n’a de sens que s’il fait tomber les murs et vise à faire vivre tous les possibles ! Alors si en 2015 on se bougeait ? En 1789, les révolutionnaires ont construit la République en liant mobilisations populaires et lois, un travail gigantesque qui dit que tout est permis lorsqu’un peuple et ses représentants le veulent. En Grèce, en Espagne, de nouvelles alternatives se lèvent, la France peut relever ce défi ! Redonner du sens à la politique, c’est l’exigence pour 2015, cela veut dire repositionner le débat et donc notre combat, sur la société que nous voulons pour demain. C’est un appel à une mobilisation citoyenne qui, de luttes sociales et de mobilisations féministes aux combats pour les droits des êtres humains, doit envahir le débat d’idées et déferler dans les rues. La rue occupée tous ces derniers temps, par les forces de la réaction et du grand capital, les idées rétrogrades ont battu le pavé ! Alors, si j’ai une envie pour 2015, c’est que le peuple construise des barricades, des barricades d’idées, de luttes, et les conforte par le suffrage universel. Alors, si j’ai une envie pour 2015, c’est que ses représentant-e-s soient à la hauteur et aient le courage de combattre frontalement la réaction dans tous les domaines sans tergiverser. Alors, sortons, sortons du schéma politique actuel et œuvrons, car communistes, à une alternative de gauche avec un nouvel élan pour le Front de gauche. « Il est grand temps de rallumer les étoiles », a dit Guillaume Apollinaire, c’est mon espoir et mon combat comme députée du Front de gauche.
- « Oui à l’économie de marché ! » par Michel Godet, membre de l’Académie des technologies et essayiste (1)
Notre pays est mal dans sa peau. Le pessimisme vis-à-vis de l’avenir tout comme le rejet de l’économie de marché font partie de l’exception française et ne datent pas de la crise de 2008-2014. Cela fait vingt ans que, dans les enquêtes européennes, la moitié des Français déclarent avoir peur de tomber dans l’exclusion. Pour ma part, je reste confiant face à l’avenir malgré les imperfections de notre économie de marché et la montée choquante des inégalités (moins en France qu’ailleurs), malgré les dérives, bien réelles, de la finance internationale. En effet, les facteurs de développement sont d’abord endogènes et il est possible d’avoir moins de 5 % de chômeurs comme en Allemagne ou en Suisse et même en France comme dans le pays de Vitré, le Choletais vendéen, dans l’Ain ou dans le Cantal. Les clés de ces succès sont à la portée de tous : volonté et compétence des élus, attractivité des territoires, qualité de vie et de logement, mixité sociale, inégalités pas trop fortes. Ces bonnes nouvelles ne suffisent pas à faire oublier le triste sort des plus démunis face à l’arrogance des nantis, de leurs privilèges économiques et statutaires, et à l’ignorance des réalités économiques où est tenue une bonne partie de population. La France a vécu depuis trente ans au-dessus de ses moyens, sous perfusion de la dette qu’il faudra bien rembourser en se mettant à la diète. En 2015, comme en 2014, on va vivre en empruntant 4 % de PIB, soit dix fois plus que la croissance réelle de ce même PIB (0,4 %) ! Obtenir une croissance de 1 % ne changera pas la réalité : le PIB par habitant continuera de baisser de 0,2 % par an, comme il le fait depuis 2008.
Dans ces conditions, nul besoin d’être prophète pour annoncer que la croissance molle des cheveux gris ne suffira pas à faire reculer le chômage qui va encore augmenter en 2015. Comment sortir de cette impasse ? La réponse est bien du côté de la politique de l’offre compétitive qu’entend mener le gouvernement Valls pour partir à la conquête des marchés émergents. Cette deuxième gauche réaliste, sociale-libérale et malheureusement minoritaire dans son camp, a compris que c’est l’entrepreneur et l’innovation qui créent l’activité, la richesse et l’emploi. Elle sait que le coût du travail trop élevé tue l’emploi, que si les marges de rentabilité de nos entreprises sont faibles, il n’y a plus d’investissement ni de financement de l’innovation compétitive. Certains parmi la gauche de la gauche pensent qu’il suffirait de faire payer encore plus les riches ! 90 % des Français trouvent l’idée sympathique. Mais ils oublient que le 1 % des ménages les plus riches paient 30 % l’impôt sur le revenu. Aussi, lorsqu’ils partent, ceux qui sont restés doivent se partager des impôts supplémentaires.
Suggérons une bonne résolution pour 2015 : incitons nos riches expatriés à revenir et développons la contagion du don chez eux afin d’améliorer l’état de nos finances publiques. Autant de marché que possible, mais autant d’État que nécessaire. C’est dire plus de marché où l’on en manque comme dans les monopoles sclérosés, mais aussi plus d’État stratège quand le long terme est en jeu. Car le marché est myope face au long terme. La Chine a montré l’efficacité de l’économie autoritaire de marché et Cuba la misère de l’économie autoritaire sans marché. La France a besoin d’un État plus fort pour permettre l’épanouissement de l’économie de marché tout en la maîtrisant. La formule de Lionel Jospin : « Oui à l’économie de marché, non à la société de marché » est plus que jamais d’actualité.
(1) Dernier ouvrage : Libérez l’emploi, pour sauver les retraites, éditions Poche Odile Jacob.
- "Une bataille ultime pour éviter le pire" par Liêm Hoang Ngoc, membre du bureau national du PS
L’année 2015 sera celle de la dernière chance de la mandature Hollande, dont le bilan est loin d’être globalement positif. La réforme bancaire a été faite de manière minimaliste : les banques universelles continueront à couvrir les risques pris dans le cadre de leurs activités de « tenue de marché » par nos dépôts. La réforme fiscale a été vouée aux gémonies : il n’y aura pas de grand impôt universel sur le revenu assis sur une assiette large. Le « sérieux budgétaire » s’est transformé en un vaste gaspillage budgétaire de 41 milliards de cadeaux fiscaux au Medef. Il fait montre de son incapacité à réduire la dette, à faire revenir la croissance et à inverser la courbe du chômage : la croissance restera d’autant plus faible que les coupes budgétaires pourvues à partir de cette année contrecarreront les effets positifs de la baisse des prix du pétrole et de la baisse de l’euro sur l’activité économique. Le contre-choc pétrolier, matérialisé par la baisse des prix de l’essence, équivaut littéralement pour les ménages à une augmentation de leurs salaires qui stimulera la consommation. La baisse de l’euro par rapport au dollar, provoquée par l’action de la BCE, améliorera la compétitivité des entreprises européennes qui exportent dans le monde. Démonstration est ici faite que deux des dogmes de la pensée unique (l’inefficacité d’une relance de la demande et l’euro fort) étaient des aberrations. Au-delà de la mise au rencart des modestes engagements de campagne, c’est l’agenda que la droite n’avait pas osé mettre en application qui est désormais à l’ordre du jour. Jacques Attali est à nouveau convoqué. De nouveaux chiens de garde font la promotion d’Emmanuel Macron, dont le programme n’est clairement pas socialiste : augmentation du temps de travail, travail du dimanche, mise en cause de la représentation des salariés et de l’expertise des comités d’entreprise, nouvelles cessions d’actifs (synonymes de démantèlement des noyaux durs de nos entreprises stratégiques et du transfert de leur contrôle aux marchés).
Le congrès du PS permettra-t-il enfin à la gauche du PS de démonter la justesse de sa critique ? Cette bataille ultime mérite à l’évidence d’être menée pour éviter le pire. En l’absence de changement de cap, les élections départementales et régionales feront tendre les scores du PS vers ceux du Pasok grec. Quel que soit son candidat, le parti d’Épinay disparaîtra du second tour de l’élection présidentielle de 2017. Son groupe parlementaire sera réduit à la portion congrue. Les dignitaires du PS en sont tellement conscients que de grandes manœuvres se préparent d’ores et déjà en coulisse. Certains préparent un changement dans la continuité en suggérant un ravalement de façade, matérialisé par la nomination du président de l’Assemblée nationale en lieu et place de Manuel Valls après la défaite annoncée aux élections départementales. Un peu de peinture verte serait utilisé pour dessiner un nouveau gouvernement aux apparences écolo-socialistes. Un peu de rose foncé serait même imprimé par la promotion de quelques frondeurs. Cela permettra-t-il, lors des élections régionales, de présenter un visage plus conforme aux attentes déçues des abstentionnistes, dont le cœur est formé par les électeurs socialistes ? Rien n’est moins sûr, compte tenu des ballons d’essai lancés par Macron et les engagements pris par Bercy pour réduire de 50 milliards les dépenses consacrées aux services publics et à la protection sociale d’ici 2017. Que faire en cas d’échec de l’opposition de gauche du PS à insuffler un cours nouveau en 2015 ? Il faudra peut-être suivre l’exemple de nos camarades de la gauche socialiste grecque, qui œuvrent désormais activement à la victoire de Syriza contre la politique imposée par la troïka.
- "Des alternatives radicales et graduelles" par Frédéric Boccara, membre du conseil national du PCF
L’année 2015 promet d’être rude. C’est aussi l’année des tournants possibles, avec en leur cœur l’enjeu des banques (dont la BCE) et des alliances politiques, sociales, culturelles pour révolutionner cet obstacle qui peut être un levier majeur pour l’emploi, les entreprises et les services publics. Les attaques vont être fortes dans une situation difficile et de crise politique aiguë. Attaques contre le droit du travail, l’emploi, la protection sociale, en France mais aussi une quasi-récession en Europe et la crise qui menace d’éclater avec une suraccumulation encore accrue depuis la crise financière de 2008. Les enjeux internationaux aussi avec la BCE, la possible victoire de nos camarades de Syriza en Grèce, mais aussi le traité transatlantique (Tafta), le climat, sans oublier la géostratégie avec d’une part l’envenimement de conflits (Ukraine, Palestine…) mais d’autre part, outre une éventuelle percée en Grèce, le résultat somme toute anti-islamiste en Tunisie, le nouveau positionnement de la Chine et des autres Brics qui ont créé la Banque de développement pour une alternative au dollar et au FMI, avec des financements ouverts à tous les pays sans conditions sur les politiques appliquées. Il va s’agir de donner du sens à tout cela, en nourrissant des combats politiques, sociaux et d’idées. Pas uniquement des combats en « contre » mais porteurs aussi de propositions précises et immédiates. Pour aussi desserrer la chape de désespérance et de sidération. Pour une année de luttes nouvelles.
Face à l’offensive contre le coût du travail et à l’alliance Valls-Macron-Gattaz-Hollande, il faut dénoncer le coût du capital (banques, dividendes, etc.) et exiger de le faire reculer mais il faut aussi insister sur l’alternative : des dépenses dans les services publics, la recherche et développement, la formation, les salaires et les qualifications. Car il va falloir faire face à quatre fronts. Ceux qui disent que le coût en excès c’est le travail, ceux qui disent que c’est l’étranger, et ces deux-là se rejoignent. Mais il y a aussi les sirènes de la limitation, qui prétendent qu’il faudrait simplement ne pas en faire trop, limiter et compenser les aides au profit, limiter la finance. Cela ne marchera pas. Il faut enclencher vraiment une autre logique. Mais c’est là qu’intervient le quatrième front, du jusqu’au-boutisme, exigeant au nom de la radicalité : tout ou rien. Et donc rien ? Le mûrissement politique peut faire que l’année 2015 soit celle d’une réorientation vers des batailles d’alternatives radicales et graduelles. Par exemple, obtenir qu’une banque prête à taux zéro à une ville, c’est, si on le généralise, révolutionnaire ! Réussir avec les socialistes frondeurs à transiger pour exiger qu’une partie, même petite, de l’argent affecté au CICE serve à baisser le coût des investissements s’ils développent l’emploi et les conditions de travail, ou que la BPI le fasse ! C’est le contraire de ce que veut Gattaz. Trois batailles majeures, mais il y en aura d’autres : les collectivités locales, la BCE, les entreprises. Bataille dans les communes pour que les banques financent leurs services publics au lieu de leur pomper le sang (l’État leur retire certes 1,5 milliard d’euros en 2014 mais les banques leur prennent plus de 2). Une lutte politique majeure dans les départements avec les élections serait l’exigence de créer des fonds nouveaux, anti-capital, forçant les banques à appuyer l’emploi des entreprises. En Europe il est grand temps d’oser dire : « L’argent des Européens, la BCE doit financer les services publics dans toute l’Europe », elle le peut, à taux zéro, avec la proposition d’un nouveau fonds européen.
Ne laissons pas les Grecs seuls ! Enfin, je rêve (?) d’une tout autre organisation du PCF pour impulser la bataille du coût du capital dans les entreprises et dans les territoires face au projet Macron. Les banques, ai-je envie de dire, les banques et une autre utilisation de l’argent au cœur du soutien au capital, mais aussi au cœur de 2015. Pour ouvrir vraiment de toutes autres perspectives jusqu’à la grande exigence de civilisation d’une autre mondialisation : de partages et de biens communs pour toute l’humanité. Un beau nom pour un projet ?