"Les autoroutes ont un rendement interne négatif" !
Mardi 16 Décembre 2014
EMMANUEL LEVY - MARIANNE
Sur l'antenne d'Europe 1, Pierre Coppey, patron de Vinci concessions et chef de fil du lobby autoroutier, a osé expliquer que le taux de rendement des sociétés d'autoroutes était "négatif". Mais Monsieur joue sur les mots. Car si l'affaire est si peu intéressante pour ces entreprises, on se demande bien pourquoi elles s'y accrochent tant !
Si les routes françaises étaient bordées de déconomètres, c'est certain, notre homme aurait été flashé. Lundi matin, sur l'antenne d'Europe 1, Pierre Coppey, patron de Vinci concessions et chef de fil du lobby autoroutier, a même explosé le compteur. Fustigeant « l’autorité de la concurrence [qui] confond, dit-il, le résultat net comptable annuel avec le taux de rendement sur investissement », Pierre Coppey a dégainé ses chiffres. Et pour lui, c’est clair : les sociétés d’autoroutes ne réalisent pas des taux de marge supérieur à 20 % comme l’a souligné le dernier rapport de l’Autorité de la concurrence.
D'ailleurs, mélangeant les choux et les carottes, il nous explique que le taux de rendement interne serait même pour le moment « négatif » ! Et de pointer les 31 milliards d'euros de dette que se coltinent les sociétés d’autoroutes. Un rapide coup d’œil sur les documents de l’Association des sociétés françaises d’autoroutes confirme ce chiffre.
Mais attention, Coppey joue sur les mots, une fois de plus. Car il y a dette et dette. En réalité, la dette à proprement dit du secteur autoroutier n'atteint « que » 23,8 milliards d’euros. Pour en arriver au chiffre de 31 milliards Coppey n'hésite pas à ajouter une partie de la dette qui est en fait liée à l'acquisition des réseaux autoroutiers et, plus gonflé encore de sa part, une partie de l'argent qu'il a fallu emprunter pour verser... des dividendes exceptionnels ! Rappelons que ce sont près de 15 milliards d'euros de dividendes nets que se sont offerts les actionnaires...
Les chiffres de l'Association des sociétés françaises d'autoroutes
Pierre Coppey peut-il donc affirmer que le taux de rendement interne est « négatif » ? Il n’est pas sûr qu’il tienne les même propos devant les investisseurs. Eux savent, tout comme l’Etat qui a regardé le dossier, qu’aujourd’hui, la valeur (dette comprise) des autoroutes est supérieure au prix de la cession de 2006. Comme l’a rappelé le député socialiste Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur de la mission d'information parlementaire sur l'écotaxe, il faudrait mettre sur la table entre 15 et 20 milliards pour racheter les autoroutes. De quoi rembourser leur mise de départ, avec en prime un joli bénéfice. Sauf qu’entre temps, les actionnaires ont empoché environ 15 milliards d’euros de dividendes, auxquels s’ajoutent plus de 3,5 milliards d’économie d’impôts. Total : près de 18,5 milliards d’euros.
Le rendement de l’opération avoisine les 125 %, en sept ans, depuis 2006. Soit un taux de rendement annuel de presque 12,5 % net. A titre de comparaison — cela se révèlera éclairant pour le simple épargnant —, le Livret A, lui, a un taux de 1 %... D’ailleurs, si l’affaire était tellement mauvaise, Pierre Coppey et consorts, n'auraient qu’une idée en tête : se débarrasser du bébé. En réalité, il ne rêve que d'une chose : prolonger la concession…
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les groupes parlementaires PCF-Front de gauche ont déposé un projet de loi pour leur re-nationaisation, que les socialistes ont refusé de voter
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Autoroutes
Pourquoi il faut renationaliser les sociétés d’autoroutes !
Le débat sur l’avenir des autoroutes concédées a le mérite de reposer la question de la gestion des autoroutes dans le cadre d’un service public routier national et de la maîtrise publique des dépenses d’avenir pour les infrastructures de transports.
Chacun comprend aisément que la situation de « rente » des sociétés concessionnaires, dénoncée par l’Autorité de la concurrence en septembre 2014, ne peut laisser croire que le gouvernement ne pourrait rien faire pour mettre fin à ce modèle économique qui a fait la preuve de sa nocivité pour la société, les usagers et les salariés des sociétés d’autoroutes qui ont subit une hémorragie des emplois, soit plus de 15% des effectifs globaux du secteur autoroutier. Les concessionnaires diminuent leur masse salariale pour augmenter leurs profits colossaux au détriment de la qualité de service et de la sécurité.
Il faut mettre fin au scandale national de la privatisation des autoroutes en 2006 qui a abouti à distribuer 14,7 milliards d’euros aux actionnaires en 7 ans, au détriment d’un réinvestissement dans les infrastructures d’intérêt général permettant le report modal de la route et de son rééquilibrage vers les transports alternatifs : ferroviaire, fluvial et maritime.
Par ailleurs, cette situation ne peut plus perdurer avec le choix du gouvernement de mettre en place son plan de relance autoroutier sur la période 2015-2020 qui poursuivrait de nouvelles privatisations du réseau routier national que la CGT dénonce auprès des salariés et des populations. En effet, le Gouvernement demande aux sociétés concessionnaires de s’engager sur des travaux routiers estimés à 3,2 milliards d’euros, montant qui leur a été réparti par l’Etat, sans appel d’offre par « adossement » des projets aux réseaux de chaque société, avec la bénédiction de la Commission Européenne dans son avis de novembre 2014. Les durées des concessions actuelles seront rallongées de 2 à 4 ans comme compensation à l’investissement de leur part dans le cadre des contrats de plan en cours de négociations entre l’Etat et chaque société concessionnaire.
Mais la réalisation de la plupart de ces travaux va tomber, à l’issue des appels d’offre qu’elles vont lancer dès 2015, dans l’escarcelle de leurs filiales appartenant aux groupes de BTP Vinci et Eiffage. Les profits ne s’arrêtent pas à l’exploitation des autoroutes, ils se nichent aussi dans le marché des travaux autoroutiers !
La réappropriation publique du réseau autoroutier est donc possible, l’argent disponible existe. Cela suppose une volonté politique de réorienter l’argent public et des péages payés par les usagers en hausse continue déconnectée des coûts réels, vers l’emploi, les investissements en infrastructures de transports dans notre pays et de l’aménagement des territoires indispensables à l’activité économique.
Pour la CGT, l’Etat, qui a privatisé les sociétés d’autoroutes, au moment où celles-ci commençaient à être bénéficiaires, doit racheter les concessions actuelles pour reconquérir dans le giron public la gestion des réseaux d’autoroutes qui relève d’un grand service public routier national. Il n’y a pas d’autre alternative qu’une renationalisation de nos autoroutes concédées.
Le Premier ministre semble enfin ouvrir le débat sur la possibilité de rachat des concessions. La CGT n’acceptera pas de nouveaux renoncements à une maîtrise publique qui tomberait à nouveau dans l’escarcelle d’une gestion privée, dans une logique de libéralisation totale des transports.
Montreuil, 11 décembre 2014