Manuel Valls passe en force par ordonnance ? Faire qu'il soit battu
Le Monde.fr | 04.09.2014 à 12h08 |Par Gérard Filoche (Membre du bureau national du Parti socialiste)
Bien des députés socialistes vont être interrogés, secoués, inquiétés par le passage en force annoncé par ordonnances. Faut-il prendre le risque de mettre en minorité « leur » gouvernement ? Ça ne s'est encore jamais fait dans de telles conditions. Que risque-t-on ?
Ce qui ne s'est jamais fait, c'est qu'un gouvernement socialiste passe en force contre sa majorité de gauche pour faire passer des lois anti sociales. Ce qui ne s'est jamais fait, c'est qu'on ait affaire à un « coup de force » d'une minorité de socialistes qui gouvernent contre leur parti, contre la gauche.
Officiellement notre parti socialiste est contre la remise en cause des seuils sociaux, et contre des ordonnances pour élargir le travail le dimanche à des femmes pauvres et précaires et des étudiants désargentés, et aussi contre une prétendue « simplification » du code du travail (il a été déjà « simplifié » pendant 10 ans par la droite, entièrement ré-écrit, avec 500 lois supprimées et 10 % de son contenu enlevé).
Notre « projet » socialiste de 2011 prévoyait de « reconstruire le code du travail », pas de le détruire davantage qu'il ne l'est. « Le combat de 2012, c'est de préserverle principe du repos dominical, c'est-à-dire de permettre aux travailleurs deconsacrer un jour de leur semaine à leur famille, au sport, à la culture, à la liberté. Et j'y veillerai ! » François Hollande, le 17 avril 2012 à Lille
La campagne électorale en 2012 défendait que « la loi devait l'emporter sur le contrat ». Le candidat défendait qu'il fallait « constitutionnaliser » ce principe du débat préalable des partenaires sociaux, du « contrat », qui devait précéder toute loi sociale. Et il passe par ordonnance contre les syndicats eux mêmes, contre la concertation, contre toute sorte de « contrat » et contre la loi ordinaire. Ce n'est pas loyal.Si c'était la droite, nous serions vent debout dans la rue avec les syndicats qui sont tous opposés à ces ordonnances. Nous avons multiplié les communiqués de dénonciation, en tant que PS, et nos dirigeants aussi chaque fois que Sarkozy etses prédécesseurs utilisaient cette méthode « pour aller plus vite » pour passer en force.
La procédure adoptée par Manuel Valls est profondément anti-démocratique, elle est utilisée seulement pour violer sa majorité. En fait, il n'y a aucune sorte d'argument d'urgence, ni d'efficacité qui justifie des « ordonnances ». C'est donc clairement une façon symbolique de faire taire toute critique, toute opposition. Sur ce sujet sur d'autres. Cela se reproduira donc. Si les députés se laissent faire, sur le principe, cela voudra dire qu'ils abandonnent leur souveraineté et leur mandat.
Il faut bien réfléchir, mais quand on est députés, il y a des heures graves et des responsabilités exceptionnelles.
Si la majorité vote la confiance et vote les ordonnances, elle se dessaisira de ses prérogatives, la démocratie parlementaire sera court-circuitée. Il sera perdu bien plus qu'un simple vote.
Manuel Valls en minorité, il faudra bien que le président écoute sa majorité parlementaire.
Il faudra bien qu'il reconstitue un autre gouvernement à présenterau Parlement, dans des conditions ou celui-ci soit normalement capable d'obtenirla confiance et de légiférer.
Nous sommes sociaux-démocrates : sociaux et démocrates. Le président élu par la gauche ne peut dissoudre la gauche. S'il le faisait ce serait un raz-de-marée à droite, et lui-même devait choisir la voie de la démission et même carrément celle de l'exil : il serait exécré à jamais par la gauche, il ne remonterait jamais dans l'opinion avec pareil bilan. C'est pourquoi mettre en minorité Manuel Valls est possible et nécessaire pour la gauche, il n'y a pas d'autre solution pour sauver la fin du quinquennat.
Le président, si Manuel Valls est heureusement mis en minorité, devra redésigner un nouveau premier ministre susceptible d'obtenir la majorité rose, rouge, verte, qui existe à l'assemblée.
Un gouvernement capable de « rassembler d'abord les socialistes », comme le disait François Mitterrand, et non pas de les diviser. Un gouvernement capable de rassembler toute la gauche : on a pu entendre, à La Rochelle, Pierre Laurent et Emmanuelle Cosse se dire prêts à une telle politique, elle est là, il est possible de la mettre en œuvre rapidement sur un programme d'action immédiat, consensuel et qui redonnera confiance à notre électorat.
En fait, rejeter le coup de force de Manuel Valls ce n'est pas un risque, c'est une chance.
C'est un vote de salut public. C'est même si on y réfléchit la seule chance pour les députés de rester fidèles à leur électorat, à leur mandat, de redonner un espoir et un élan à gauche avant qu'il ne soit trop tard. La seule politique réaliste c'est d'arrêter les dégâts de la ligne d'austérité suivie jusque-là, sinon on perdra tout, les régions, les départements, l'assemblée… et la présidence. Et en perdant tout, on laissera une droite et une droite extrême s'emparer du pouvoir ?
C'est salutaire pour la gauche en pareilles circonstances de ne voter ni les ordonnances ni la confiance.
- Gérard Filoche (Membre du bureau national du Parti socialiste)