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29 novembre 2014 6 29 /11 /novembre /2014 18:10

Gisèle Moreau : « A l’époque, l’interdiction de l’avortement était un drame national »

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR LAURENT MOULOUD

SAMEDI, 29 NOVEMBRE, 2014

Gisele Moreau, députée communiste de Paris en mars 1973

Députée PCF lors du débat parlementaire de 1974, Gisèle Moreau se remémore ce combat passionnant et rappelle le rôle joué par les élus communistes. Entretien.

Elle n’avait que 34 ans à l’époque. Et était la plus jeune des – rares - femmes députées. Quarante ans après le célèbre débat parlementaire qui permit de légaliser l’interruption volontaire de grossesse (IVG), Gisèle Moreau revient sur cette rude bataille qu’elle mena dans l’hémicycle au nom du groupe communiste.

L’Assemblée nationale a adopté mercredi dernier, à une large majorité, une résolution visant à réaffirmer le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse. Quels souvenirs gardez-vous du débat de 1974 à l’Assemblée nationale ?

Gisèle Moreau. C’était vif et passionnant. Mercredi, la plupart des parlementaires n’avaient pas l’air très concernés, mais, à l’époque, c’était un véritable débat. La plupart des députés de la majorité de droite était contre ce droit à l’IVG. Mais les groupes n’avaient pas donné de consignes de vote. Le résultat n’était donc pas joué d’avance. Il fallait fouiller ses arguments et apporter des chiffres les plus convaincants possibles. Dans le même temps, il régnait une certaine acrimonie, agressivité même, de la part de tous ceux qui ne voulaient surtout pas accorder aux femmes la liberté de disposer de leur corps et de décider de leur maternité. Pour un certain nombre d’élus de droite, c’était une chose inconcevable.

Le PCF possédait à l’époque 73 députés. Quel a été leur rôle ?

Gisèle Moreau. Nous avons eu une position claire et nette en mettant en avant les conséquences de la loi de 1920 qui interdisait l'avortement et la contraception. Nous avons déposé plusieurs amendements, notamment sur la question cruciale du remboursement de l’IVG par la sécurité sociale. Autoriser l’avortement était évidemment nécessaire mais pas suffisant. Il fallait qu’il soit accessible à toutes. Une intervention hospitalière coûte cher et les femmes les plus modestes risquaient d’être exclues de ce droit. Nous nous sommes aussi beaucoup battus pour le développement de la contraception et l’éducation sexuelle, sachant que l’avortement est le recours ultime. Il a fallu affronter la droite qui a, tout d’abord, voulu renvoyer le projet. Je me souviens que nous avons alors proposé un article de loi unique abrogeant l’article 77 du Code pénal, celui qui réprimait l’avortement. Notre idée était de dire : si vous ne voulez pas adopter la loi maintenant, supprimez au moins les dispositions répressives qui font que les femmes risquent leur vie, non seulement avec des avortements clandestins mais également avec des poursuites judiciaires. Cette proposition nous a été refusée. Au final, les députés communistes ont joué un rôle très actif dans les débats alors que le Parti socialiste, lui, était plutôt flottant. De ce combat, nous en avons d’ailleurs tirés deux ouvrages (1).

Quel regard portez-vous sur le rôle de Simone Veil ?

Gisèle Moreau. Elle a joué un rôle évidemment positif. Elle a défendu la loi avec compétence et courage, d’autant qu’elle se battait contre son propre camp ! Mais Simone Veil n’a pas conquis toute seule ce nouveau droit. Elle avait l’assentiment du président Giscard d’Estaing et surtout le soutien de millions de femmes et de la majorité de l’opinion publique. L’avortement était à l’époque un drame national qui touchait toutes les familles. Chacun connaissait au moins un proche qui en avait des séquelles ou qui y était resté. Aujourd’hui, les jeunes ne s’imaginent pas les épreuves que leur mère ou grand-mère ont dû traverser, ce qui n’est pas forcément une mauvaise nouvelle ! Cela prouve que, dans les têtes, c’est un acquis définitif qui sera difficile à remettre en cause...

Il y a pourtant des tentatives de remises en cause chez certains députés, comme on l’a vu mercredi dernier…

Gisèle Moreau. Mercredi, dans l’hémicycle, un seul député – Jacques Bompard - s’est exprimé contre, et six autres ont voté comme lui. Mais à l’époque, ils étaient une quinzaine à partager le discours de Bompard... Virulents, ces « aboyeurs » agressaient surtout Simone Veil et nous interrompaient violemment lors de nos interventions. Les choses ont beaucoup changé en quarante ans. Aujourd’hui, tous les groupes ont signé cette résolution. Même si on n’est jamais à l’abri de rien, je ne crois pas à une remise en cause en France. Les femmes se sont tellement battues pour ça…

Etes-vous tout de même inquiète face aux difficultés d’application de ce droit ?

Gisèle Moreau. Effectivement. S’il n’y a pas de remise en cause du principe, il y en a une dans les faits, en raison du manque de moyens. Avec les restrictions budgétaires, notamment dans le domaine de la santé, il n’est pas facile d’appliquer ce droit à l’IVG. Il y a des motifs d’inquiétude et de combat. Les centres sont parfois surchargés ou, dans certains déserts médicaux, trop distants pour des jeunes filles sans aide. De même, on ne donne pas suffisamment les moyens pour faire connaître la contraception aux jeunes filles et la développer. Le vote, mercredi dernier, de cette résolution est donc un rappel très utile. Surtout s’il permet de s’attaquer aux problèmes budgétaires qui mettent en péril le droit à l’avortement.

(1) Avortement et libre choix de la maternité. Textes et documents. Avril 1974.

Naissance, contraception, avortement : les moyens de décider. Editions sociales, 1980.

Légalisation de l’avortement. 26 novembre 1974 : intervention, au nom des députés du PCF, de Gisèle Moreau

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