Trois semaines avant le premier tour de la présidentielle, le candidat Emmanuel Macron faisait la promesse de revaloriser à court terme les petites retraites agricoles. Que recouvre le court Terme, le 1 janvier 2020 pour les désormais président Macron car cela va coûter 400 millions à l’Etat qui n’a pas pour l’instant les moyens de financer cette hausse. Cependant l’urgence demeure et le groupe des sénateurs communiste républicain citoyen et écologique du Sénat s’emploie à faire adopter cette mesure sans tarder. Pour cela ils représenteront dans leur espace réservé une proposition de loi rendant immédiate cette revalorisation.
Pourquoi il y a urgence à revaloriser les pensions des retraité-é-s agricoles ?
Les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste du Sénat, en accord avec des représentants des retraité-e-s agricoles, ont décidé de représenter dans son espace réservé le 16 mai prochain la proposition de loi visant à revaloriser les pensions de retraites agricoles bloquée par le gouvernement le 7 mars. Ce jour-là, le groupe CRCE avait inscrit dans son espace réservé une proposition de loi visant à revaloriser les pensions des retraites agricoles à hauteur de 85% du Smic dont le financement serait assuré par une augmentation de la taxe sur les transactions financières de 0,1%, soit un prélèvement de 4 centimes d’euros au lieu de 3 centimes prélevés actuellement sur tout achat d’une action de 10 euros.
Le parcours législatif de ce texte emblématique avait commencé sous les meilleurs auspices à l’Assemblée nationale où, déposé par les députés communistes André Chassaigne et Huguette Bello, il a avait été adopté à l’unanimité en février 2017. Transmis comme le veut la loi au Sénat, sa commission des Affaires sociales l’avait également approuvé à l’unanimité. Selon toute logique il aurait dû recevoir le même accueil en séance publique au Palais du Luxembourg ce qui permettait son application immédiate. Mais le gouvernement s’y est opposé en usant d’une manœuvre législative. Il a purement et simplement rendu impossible le vote de cette proposition de loi en imposant au Sénat une procédure de vote bloqué, rarissime, contre un texte d’initiative parlementaire. Cette procédure impose au Parlement de se prononcer par un seul vote sur un texte et sur ses amendements, imposant par là-même cette alternative, soit le rejet du texte, soit son adoption assortie d’un amendement gouvernemental déposé en dernière minute, reportant aux calendes grecques une majoration significative des retraites agricoles.
Or, l’adoption de cette proposition de loi qui ne nécessitait pas de textes d’application répondait à un véritable besoin du monde agricole. En effet pour une carrière complète, les non-salarié-e-s agricoles perçoivent une pension moyenne (de base plus complémentaire) de 730 euros par mois, inférieure au seuil de pauvreté et au minimum vieillesse. Cette proposition de loi apportait des réponses concrètes et immédiates à ces anciens travailleurs. C’était l’augmentation d’un peu plus de 100 euros par mois du pouvoir d’achat des 230 000 bénéficiaires actuels du dispositif et la consolidation des dispositifs de solidarité existants.
En outre, cette avancée n’entrait pas en contradiction avec la réforme d’ampleur du système de retraite annoncée par le gouvernement à l’horizon 2020. Elle était d’autant plus bienvenue que les retraité-e-s agricoles n’ont aucune garantie que la revalorisation qu’ils attendent tant soit abordée dans le cadre de cette réforme. Quand de nombreux agriculteurs et agricultrices cessent leurs activités, il leur est alloué une très faible retraite, situation souvent aggravée par l’absence de statut des conjoints qui n’ont pas été rémunérés alors qu’ils jouaient un rôle de premier plan dans l’exploitation. La revalorisation de leurs pensions est donc une nécessité et une question de justice sociale. Si nous voulons une agriculture qui résiste à la financiarisation des terres agricoles, il est impératif de permettre des départs anticipés et des possibilités de rachat d’exploitations qui favorisent l’installation de jeunes agricultrices/agriculteurs.
Au-delà de cet important problème social, le blocage de cette proposition de loi met en lumière les enjeux institutionnels auxquels le pays est actuellement confronté. Nous sommes à l’aube d’une importante réforme des institutions et de la Constitution voulue par le Président de la République. Notre proposition de loi était et est le fruit d’un travail de terrain, d’auditions multiples, de débats au sein de la commission permanente de l’Assemblée nationale et du Sénat. Le gouvernement a méprisé ce travail : il a méprisé le Parlement. Cette posture s’inscrit dans la volonté de remettre en cause les pouvoirs du Parlement au profit de l’exécutif.
La procédure du vote bloqué prévu par l’article 44-3 de la Constitution déclenchée par le gouvernement et utilisée de surcroît contre un texte d’initiative parlementaire, inscrit dans l’ordre du jour réservé d’un groupe d’opposition constitue un véritable détournement de cette possibilité imaginée en 1958 pour dépasser l’obstruction parlementaire sur un projet de loi du gouvernement! Ce vote bloqué est une atteinte manifeste à l’initiative parlementaire, au respect de l’opposition et du pluralisme. C’est la remise en cause de la possibilité de délibérer librement des assemblées parlementaires.
Recours systématique aux ordonnances, à la procédure accélérée, au vote bloqué, à l’utilisation détournée des armes du rationalisme parlementaire, ce n’est pas seulement l’opposition qu’on veut museler mais tout le pouvoir législatif que l’on tente de bâillonner. Sous le couvert d’une revalorisation du Parlement, c’est la mise sous tutelle de la souveraineté nationale qui est à l’œuvre. La réforme constitutionnelle proposée par le Président de la République qui comprend la réduction du nombre de parlementaires, la limitation du droit d’amendement, le pseudo-renforcement de l’efficacité du travail parlementaire et de la productivité législative, loin de revitaliser notre démocratie, creusera au contraire le fossé entre les citoyens et les élu-e-s. Le Parlement n’est pas une entreprise ! Ainsi, derrière le parcours législatif de la proposition de loi sur les retraites agricoles, ce sont les options constitutionnelles d’Emmanuel Macron qui se dessinent.