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26 février 2014 3 26 /02 /février /2014 06:49
Débat sur la Centrafrique à l'Assemblée : l'intervention d'André Chassaigne

 

 

Centrafrique
Monsieur le Président,
Monsieur le ministre,
Chers collègues,

La Centrafrique connaît une nouvelle période de crise aiguë. Certains croient la résoudre, comme souvent dans l’histoire, par une énième intervention militaire française, sans objectif pérenne de paix. C’est, hélas, un scenario récurrent depuis l’indépendance de cette ancienne colonie.
Le drame qui se joue aujourd’hui prend toutefois une ampleur nouvelle et fait s’effondrer l’unité d’un pays déjà fragilisé par la pauvreté et une instabilité politique chronique.

Privé d’Etat, le pays est en butte aux violences de groupes armés que l’armée française ne parvient pas à contrôler.
La situation s’avère bien plus complexe que ne l’affirmaient à l’envi les partisans de cette intervention à grands renforts de schémas quelque peu simplistes. Nous vous avions alerté sur les risques de cette entreprise solitaire, hasardeuse au regard de la dimension socio-religieuse du conflit et compte tenu du passé colonial qui lie notre pays à la Centrafrique, officiellement mais théoriquement indépendante de puis 1960. La France ne pouvait mener seule une mission d’interposition digne de ce nom. En se donnant pour seul objectif de désarmer les Séléka, la France a-t-elle suffisamment mesuré les conséquences et prévu l’après ? Le sentiment d’une certaine improvisation domine aujourd’hui.

La situation actuelle est dramatique et les massacres commis renforcent le spectre génocidaire.

A la mort semée par les « Séléka », groupe hétéroclite de «rebelles» locaux et de mercenaires venus des pays voisins (du Tchad et du Soudan en particulier) a succédé celle enclenchée par les « anti-balaka ». Le rapport de force inversé, la loi du talion est appliquée contre les civils musulmans par les milices à dominante chrétienne.

De fait, l’intervention française n’a pas mis un terme au chaos. Etonnamment, la France ne semble avoir mesuré les conséquences de l’inversion du rapport de force. Faute d’avoir su enrayer la spirale de la violence, l’opération Sangaris a déclenché une logique de représailles qu’elle échoue à neutraliser. Loin d’avoir pacifié le pays, elle a suscité des poussées de haines que l’exécutif a manifestement sous-estimées.
Nous avions aussi prédit ces difficultés, il y a deux mois de cela, sans être entendus.
Nos soldats se trouvent piégés dans une situation, pour laquelle ils n’ont pas été formés et qui les dépasse ! Les exactions restent quasi quotidiennes dans la capitale Bangui. Et la situation incontrôlée en province. Les représailles se traduisent par des lynchages, des destructions de maisons et de mosquées. Autant de crimes qui creusent chaque jour un peu plus le fossé entre les membres de la communauté nationale.
Le récit de tous les observateurs, politiques comme journalistes, qui se sont rendus en Centrafrique, est à cet égard édifiant : il témoigne de la situation de chaos qui règne à Bangui et qui ne cesse de s’aggraver.

Les forces militaires françaises échouent aujourd’hui à juguler cette violence.

Les ONG mobilisées en Centrafrique ont donné l’alarme. Amnesty international dénonce le « nettoyage ethnique de civils musulmans » qui se déroule dans l'ouest de la Centrafrique sans que nous parvenions, dans les conditions actuelles, à l’empêcher.
Cette analyse est partagée par le Haut-Commissaire pour les réfugiés (HCR), Antonio Guterres, qui a dénoncé la poursuite d’« un nettoyage ethno-religieux massif » mené par des milices anti-balakas. L’objectif est d'effacer toute trace de la présence musulmane dans le pays. Les populations musulmanes sont contraintes à l’exode aux frontières du Tchad et du Soudan. Pour Ban Ki Moon, « la brutalité sectaire est en train de changer la démographie du pays, la partition de facto est un risque avéré ».
Environ un quart des 4,6 millions d'habitants de la Centrafrique a dû se déplacer, dans le pays même, par crainte des violences entre chrétiens et musulmans. Depuis décembre 2012, 246 000 personnes se sont réfugiées dans les pays voisins.
Si le spectre du génocide rwandais est dans tous les esprits, vingt ans après son funeste anniversaire, l’analogie avec la situation centrafricaine ne se justifie pas pleinement et la prudence est de mise. Et il serait tout aussi erroné de croire que la violence trouve son origine dans des haines ancestrales afin de mieux passer sous silence de graves erreurs politiques, économiques et stratégiques.

Force est de constater également que la France n’a pas su rallier d’autres forces à sa mission d’interposition. Excepté un contingent africain, qui s’avère finalement plus virtuel que réel, elle se retrouve encore seule en première ligne.
Les grandes puissances s’en satisfont cyniquement. L’intervention isolée de la France a dispensé les Etats-Unis, la Chine, la Russie et l’Europe d’agir. Pourtant, l’Afrique en général et la Centrafrique en particulier ne sauraient représenter un quelconque pré-carré français : le sort de ce pays relève d’abord de la souveraineté de son peuple et il revient donc légitimement à la « communauté internationale » de lui venir en aide.
Les appels à un déploiement de casques bleus de l'ONU restent pourtant lettre morte, et les partenaires européens feignent de s’indigner sans offrir de réponse à la hauteur du drame. On nous annonce que l'Union européenne déploiera 500 soldats le mois prochain. L’équivalent d’un bataillon ! L’opération européenne est de fait une opération minimale, d’autant plus qu’elle n’atteindra pas sa pleine capacité opérationnelle avant l’été.

L’exécutif promettait une opération rapide. Aujourd’hui, il doit demander au Parlement l’autorisation de prolonger l’intervention des forces françaises.
La France étant désormais au cœur de la tragédie centrafricaine, il nous incombe, en responsabilité, de nous interroger sur la réponse à apporter au désespoir de ce peuple. Dans les conditions actuelles de l’intervention française et de ses conséquences, nous ne pouvons l’abandonner à son triste sort. Pour autant, l’intervention armée, telle qu’elle a été menée jusqu’aujourd’hui, n’est pas satisfaisante.
Qualifiée d’ « opération de police », « courte » naturellement, elle ne devait durer que de quatre à six mois, le temps de sécuriser Bangui et les principaux axes du pays, selon le ministère de la Défense. Ces objectifs semblent encore inatteignables au vu de la réalité du terrain.
De même nous sommes encore, à cette étape, loin des objectifs humanitaire et sécuritaire qui étaient affichés au début de l’opération pour mieux la justifier.

En effet, plus de deux millions et demi de personnes sont dans l’attente d’une aide humanitaire d’urgence. Des épidémies, notamment de choléra, sont à craindre. Les champs ne sont plus correctement cultivés. La nourriture commence à manquer dans certains secteurs. Les Nations-Unies sont d’ailleurs en train d'établir un nouveau pont aérien pour acheminer des céréales depuis le Cameroun.

Face à l’impasse militaire et diplomatique, face au climat de terreur et au désastre humanitaire, les perspectives politiques peinent à se dessiner. Pourtant, nous avions plaidé avec force pour que cette approche prévale.
Des élections ont été annoncées dans un an, alors que les listes électorales ont été détruites avec l’ensemble des archives du pays ! 
Sous une forte pression franco-tchadienne, la classe politique centrafricaine s’est, certes, dotée en un temps record d’une présidente de transition, Madame Samba Panza, mais elle peine à incarner une quelconque réconciliation nationale.

En fait, on ne sait toujours pas quels objectifs et quelles solutions politique et de sécurité sont poursuivis !
Notre seule présence militaire, ne saurait constituer une fin en soi. Le bilan de ces derniers mois, que je viens de dresser, en est la preuve la plus évidente. Elle ne réglera pas le problème, ni sur le fond ni dans la durée, car la crise centrafricaine est d’abord politique.
C’est au nom de la solidarité entre les peuples que la France doit permettre au peuple centrafricain de prendre son destin en main. Elle n’a pas vocation à trouver et à imposer elle-même une solution.

Pour autant, la France a la responsabilité de créer les conditions pour mettre fin aux atrocités et au chaos. Elle le doit au peuple centrafricain.
Aussi, doit-elle plaider et agir pour une action multilatérale sous l'égide des Nations-Unies, de manière à transformer le plus rapidement possible la MISCA et Sangaris en Opération de maintien de la paix. 
Pour être efficaces, les forces de maintien de la paix doivent être impartiales. Le départ des troupes tchadiennes, dont les liens et les dérives sont établis avec des membres des Seleka, semble donc s’imposer. L’appui indispensable d'autres forces armées africaines (avec notamment l’Afrique du Sud, l’Angola et l’Éthiopie) s’impose. Appui qui s’impose pour que nous puissions nous extraire de ce huis-clos.
Paris s’honorerait d’être à l'initiative d'une Conférence internationale pour la paix et le développement en Centrafrique et dans la sous-région. Conférence qui devrait avoir pour objectif la construction d'une solution politique partagée, l'arrêt des ingérences extérieures, l'unité du pays face aux menaces de partition, la reconstruction de l’État, des services régaliens et des services publics dévastés ou inexistants en dehors de Bangui. Ce sont là autant de conditions pour que la RCA recouvre sa souveraineté et donc la paix.
Du reste, aucune solution politique ne saura viable sans un changement de paradigme pour le développement du pays. Pour sortir la Centrafrique du cycle des crises, il faut des réponses structurelles.

L'effondrement en Centrafrique a des causes profondes qui sont liées aux multiples ingérences et dominations jalonnant l'histoire de ce pays. Encore aujourd'hui, pendant que la barbarie se déchaîne, le pillage des ressources se poursuit. Aucune issue ne sera possible tant que la République centrafricaine n’aura pas retrouvé sa pleine souveraineté. En cela, les richesses du sol et du sous-sol doivent revenir au peuple centrafricain.
C'est pourquoi, nous proposons que les richesses du pays soient désormais considérées comme des biens publics. Les filières diamantifères, aurifères et du bois pourraient dès lors être placées sous contrôle public du peuple centrafricain. De même, les contrats en cours ou à venir dans l'extraction minière, de l'uranium et pétrolière devraient être rendus publics et bénéficier au développement du pays.

A l'image de la France qui s'est dotée d'une architecture permettant la reconstruction après les années de guerre et d’occupation en 1945, la Centrafrique doit se réapproprier ses richesses pour mettre un terme aux ingérences et aux conflits.
La France, qui porte une très lourde responsabilité historique dans ce désastre, a une dette incommensurable envers le peuple centrafricain. Elle pourrait agir en ce sens pour ouvrir de nouvelles relations de respect et de co-développement.

De fait, la guerre, la force, ne représentent pas la solution de sortie de crise. Il ne peut y avoir de solution uniquement militaire. Elle est avant tout politique. Elle n’est pas unilatérale, mais multilatérale. Car, surtout, elle n’appartient pas à la France mais au peuple centrafricain.
Nous espérons que la majorité entendra enfin notre voix, celle de la sagesse et de la responsabilité. Celle qui devrait guider nos relations avec l’Afrique dans le respect de ses peuples. Un respect qui impose de leur donner les moyens de construire, de manière pérenne, leur pleine souveraineté et se réapproprier leurs richesses.

Au nom des principes et des valeurs qui viennent d’être exposés les parlementaires du Front de gauche refusent de signer un blanc-seing en faveur de l’intervention française.

Cependant, mis devant le fait accompli d’une situation de chaos, nous ne pouvons aujourd’hui retirer nos troupes et abandonner le peuple centrafricain à son triste sort.

C’est la raison pour laquelle, tout en laissant la liberté de vote à chacune et chacun, nous ne nous opposerons pas à la prolongation de la présence des forces françaises en Centrafrique, dans l’attente du transfert, urgent et indispensable, de cette opération à une force multinationale de maintien de la paix sous l’égide de l’ONU.

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BRUNO FORNACIARI

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