Interview. Député honoraire du Parlement Européen, Francis Wurtz repousse l'idée que le traité budgétaire ait été renégocié. Il n'a pas évolué depuis sa signature par Sarkozy et
Merkel.
Avec le traité budgétaire, la question européenne revient sur le devant de la scène politique. Comme en 2005, lors du débat sur le traité constitutionnel européen. Nous avons demandé
à Francis Wurtz de décrypter ce qui se joue. Député honoraire du Parlement européen dont il fut membre sans discontinuité de 1979 à 2009, il est l'un des meilleurs experts français de la
construction européenne.
La Marseillaise. François Hollande vient de demander l'opinion du Conseil constitutionnel. Son objectif est de faire ratifier par le
Parlement le traité de stabilité, de coordination et de gouvernance, plus communément appelé traité budgétaire sous prétexte qu'il serait complété par le pacte de croissance de 120
milliards d'euros. Il explique qu'il a obtenu de l'Allemagne la renégociation promise lors de la campagne électorale et évoque même "une réorientation de la construction
européenne". Partagez-vous cette analyse ?
Francis Wurtz. Je veux être très clair. Les dernières rencontres européennes n'ont donné lieu ni à une renégociation du traité budgétaire, ni à une amorce de réorientation
de la construction européenne. Le traité négocié au début de l'année entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel n'a pas été modifié. Pas une ligne, pas une virgule n'ont été changées.
Certes, s'il n'y a pas eu réorientation, est apparu le pacte de croissance. Mais ce dernier s'inscrit dans la même logique lourde du traité, c'est à dire la dépendance aux marchés
financiers, la priorité absolue accordée aux créanciers. J'y ajouterai aussi l'hypercentralisation des domaines économiques et budgétaires.
Cette ratification souhaitée est un mauvais service rendu à la Gauche. Elle va à l'encontre des fortes attentes exprimées le 6 mai dernier. Elle est source de désillusions. Plus que jamais
il est nécessaire d'obtenir des modifications substantielles des orientations européennes.
La Marseillaise. 120 milliards, 1% du PIB européen. Le pacte de croissance peut être un outil efficace pour relancer
l'économie.
Francis Wurtz. Il s'agit, en effet, de mesures qui par certains aspects ne sont pas négatives. Elles étaient d'ailleurs prévues dans leur principe depuis janvier dernier.
Mais ce sont des mesures qui sont à mille lieux des besoins. Le pacte de croissance ne change rien à la logique du traité.
La Marseillaise. Concrètement quels seront les effets de l'application du traité budgétaire ?
Francis Wurtz. C'est le traité qui institue la règle d'or. Chaque état s'engage à atteindre et à maintenir durablement une situation budgétaire en équilibre ou en excédent.
On a parfois quelques difficultés à se représenter quelles seront les conséquences de cet engagement. Je cite un exemple. Le quotidien Les Echos du 9 juillet dernier évoque le cas de
l'Italie. Au total les mesures d'austérité pour atteindre l'objectif se montent à 258 milliards d'euros et à cinq plans de rigueur successifs C'est donc considérable. Mais ce n'est pas
tout.
Le traité comporte un mécanisme correcteur automatique. il s'agit d'une injonction obligatoire faite aux États.
Et si ce mécanisme n'est pas respecté, un système de sanction lui aussi automatique est mis en œuvre. Avec pour conséquence que les États seront, sur le plan financier mais aussi politique,
soumis à la vindicte des marchés financiers.
La Marseillaise. Cette logique s'applique-t-elle aussi pour la dette ?
Francis Wurtz. C'est en effet la même chose. Sachant qu'il est encore plus difficile de diminuer la dette que le déficit. Avec le traité, il faudra réduire chaque année le
taux d'endettement public d'1/20e de la différence du niveau de 60% du PIB.
Déficit, dette mais aussi les politiques économiques. Il est impératif qu'elles soient conformes aux traités en terme de compétitivité, de stabilité financière… Toutes les modifications
devront être débattues et coordonnées au niveau européen.
Le traite nous enferme dans la logique de l'Europe libérale. Tout cela est en totale oppositions avec la réorientation de la construction européenne.
La Marseillaise. On a le sentiment que de sommet en sommet, la crise financière et économique que traverse l'Europe
s'aggrave. Comment en sortir ?
Francis Wurtz. L'Union européenne reste prisonnière de la toute puissance des marchés financiers. Des réformes sont imposées dans le seul but de rassurer les marchés. Il
est urgent qu'elle se donne les moyens de se libérer de leur tutelle.
Cela suppose de changer de logique. Notamment en imposant des missions radicalement nouvelles à la Banque centrale européenne. Elle doit pouvoir mettre à la disposition des États son
pouvoir de créer de la monnaie, non pour faire n'importe quoi mais sur la base de critères de développement social : l'emploi, la formation, la transition écologique. Ils doivent pouvoir
emprunter à des cours très bas et sans aucune condition.
Mais je le répète, tout cela impose que l'Union européenne change ses priorités. Son horizon ne doit pas être la satisfaction des marchés mais le développement social et écologique. C'est
d'autant plus urgent que l'Europe, c'est aujourd'hui 115 millions de pauvres, 25 millions de chômeurs, dont beaucoup de jeunes, une zone euro en récession, une transition écologique en panne.
La Marseillaise. C'est aussi un écart qui grandit entre l'Europe et les attentes des peuples ?
Francis Wurtz. La démocratie doit être un axe essentielle de réorientation de la construction européenne. Aujourd'hui, la centralisation des pouvoirs est maximale afin
d'éviter la pression des mouvements sociaux, des citoyens. Les grands centres de décisions sont déconnectés des peuples et même des Parlements nationaux ou européen. Il est indispensable
d'impliquer les citoyens dans l'élaboration et le contrôle des décisions.
La Marseillaise. Au regard des conséquences du nouveau traité, ne serait-il pas légitime d'en appeler à l'expression populaire comme
en 2005 lors du référendum sur la constitution européenne ?
Francis Wurtz. Un grand débat contradictoire, citoyen est nécessaire. Les conséquences de ce qui se joue actuellement sont très lourdes sur la vie des gens, sur le modèle
social et démocratique. Ne pas associer les peuples à cette construction, c'est dangereux. Cela renforce les populismes, les nationalismes, l'extrême Droite.
Il faut saisir les citoyens sur tous ces enjeux. Qu'ils puissent trancher en toute connaissance de cause. C'est une illusion de vouloir créer une union de 27 sociétés dans l'indifférence,
l'ignorance des citoyens.
En conclusion de ce grand débat, l'organisation d'un référendum est indispensable.
Propos recueillis par Christian Digne (La Marseillaise, le 18 juillet 2012)