10 mai à La Réunion : « Notre peuple est donc issu d’un crime contre l’humanité »
Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions
samedi 10 mai 2014
Le 10 mai est la Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions. Cette date fait référence au vote d’une loi par le Parlement français, reconnaissant l’esclavage en tant que crime contre l’humanité. Cette loi confirme donc que le peuple réunionnais est issu d’un crime contre l’humanité. Mais le PCR a dû batailler pour que La Réunion soit pleinement prise en compte dans la loi Taubira.
Cela fait 351 ans que le peuple réunionnais est né. Plusieurs dates importantes balisent déjà son histoire.
La plus ancienne et la seule qui soit fériée est le 20 décembre, c’est l’abolition de l’esclavage. Elle commémore une décision appliquée depuis 1848 : tous les Réunionnais sont des êtres humains. Mais cette loi maintient la structure coloniale. Les anciens esclaves vont former la classe des plus pauvres, tandis que les plus riches esclavagistes sont indemnisés et peuvent continuer à dominer la société.
La suivante est le 19 mars. Cette date commémore la fin du statut colonial et le début du statut de département, depuis le 19 mars 1946. Cette loi venue de la volonté des peuples de La Réunion, de Guadeloupe, de Guyane et de Martinique donne le droit à l’application des lois sociales votées en France depuis le Front populaire. Cette loi fait des Réunionnais des citoyens à part entière de la République. Elle est tout aussi importante que le texte qui a aboli l’esclavage. Car cette loi a permis de lancer le mouvement qui a permis de changer la structure de la société réunionnaise. Elle a donné des outils au peuple pour exiger du pouvoir de meilleures conditions de vie.
Celle que la République commémore aujourd’hui est le 10 mai. Cette date est commune à toute la République, aussi bien les anciennes colonies que l’ancienne métropole. Ce jour du souvenir montre qu’une ancienne puissance coloniale est capable de regarder son passé en face, grâce à l’action des descendants d’esclave.
La Réunion d’abord oubliée
Pour arriver à ce résultat, il a lutter pour que cette question soit débattue au Parlement. C’est là que les députés du PCR sont intervenus pour que La Réunion soit pleinement prise en compte. En effet, le premier article de la loi était rédigé de la façon suivante : « la République française reconnaît que la traite négrière transatlantique et l’esclavage, perpétrés à partir du 15e siècle contre les populations africaines déportées en Europe, aux Amériques et dans l’océan Indien, constituent un crime contre l’humanité ».
Cette formulation oubliait une grande partie de l’histoire de La Réunion, car nombreux sont les ancêtres esclaves venus de Madagascar et d’Inde.
Claude Hoarau souleva le problème lors de la Commission des lois de l’Assemblée nationale du 10 février 1999. Le président de la Commission, le socialiste Louis Mermaz, lui répondit qu’il n’était pas nécessaire de citer toutes les nations impliquées dans la traite, et que le problème de l’esclavage des indiens était très différent de la traite négrière. Conséquence : pas question de changer le contenu de l’article.
Le PCR décida alors, par l’intermédiaire de ses députés, de déposer un amendement en séance plénière ainsi rédigé : « la République française reconnaît que la traite d’une part et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du 15e siècle, aux Amériques, dans l’océan Indien, et en Europe contre les populations amérindiennes, africaines et indiennes constituent un crime contre l’humanité ». Cela poussa les socialistes à réagir, et un amendement de synthèse fut adopté : « la République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du 15e siècle aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes, constituent un crime contre l’humanité ».
L’importance d’une Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise
C’est ainsi que la totalité des ancêtres des Réunionnais a ainsi pu être intégrée dans la loi. Les communistes réunionnais avaient réussi à surmonter les préjugés des socialistes français sur l’esclavage à La Réunion. Comme l’avait rappelé lors de son intervention à l’Assemblée Elie Hoarau, « il faut mettre à mal ce mythe d’un « esclavage doux » qui aurait notamment protégé La Réunion. Nous savons que la mortalité servile était très élevée dans cette lointaine colonie de l’océan Indien, que les mauvais traitements étaient fréquents sur les propriétés, que l’esclavage y a duré plus longtemps ».
Un an plus tard, le texte est en débat au Sénat. Paul Vergès rappela combien pèse encore aujourd’hui sur notre société les séquelles de l’esclavage : « Si l’on se complaît à chanter la merveille du métissage, l’idéologie de la période esclavagiste perdure dans les comportements. Le péché originel de l’esclavage continue à différencier les Réunionnais entre eux. La relation de domination maître-esclave s’est diffusée jusqu’à nos jours dans la société réunionnaise. Dire cela, ce n’est pas laisser parler des sentiments médiocres. C’est prendre en compte le poids d’un siècle et demi d’Histoire dans une société qui, je le rappelle, n’en compte que trois. Notre peuple est donc issu d’un crime contre l’humanité ». Et de souligner que « Le dépassement, au-delà des tabous, de cette période fondatrice de la société réunionnaise est la condition du maintien de son équilibre encore fragile. La création d’une maison des civilisations et de l’unité réunionnaise, projet de la Région de La Réunion, veut y contribuer ».
M.M.