Madame, Monsieur, Chers amis, Chers camarades,
Cette année encore, c’est avec beaucoup de bonheur que l’équipe de l’université du Pcf a le plaisir de vous accueillir.
Avec beaucoup de bonheur car cette année encore vous avez répondu au rendez-vous plus nombreuses et nombreux et ce fait encourage une démarche de travail construite depuis plusieurs années.
Cette démarche de travail est simple, elle consiste à considérer que le champ de la politique ne se résume pas aux dimensions idéologiques, tactiques et stratégiques du moment mais doit
intégrer les dimensions de la culture dans toutes ses composantes, philosophiques, économiques, sociologiques, artistiques, scientifiques.
Cette université s’adresse donc à vous non seulement comme militantes et militants mais au-delà comme êtres humains complets, souverains, autonomes, forgeant leur libre-arbitre dans la
rencontre avec la pensée, le travail, dans la rencontre tout simplement.
Notre hypothèse est donc que la réduction du champ de l’activité des partis à l’activité électorale telle que voulue par nos institutions est une réduction de la politique elle-même. Nos
institutions, en asservissant progressivement les partis à leur service exclusif, ont agi comme des réducteurs de tête.
Elles affaiblissent les fonctions culturelles, sociales, intellectuelles de la politique pour n’en garder que l’activité de représentation dans une démocratie devenue d’opinion.
Et c’est donc à contre-courant de cette évolution que nous avons pensé la durabilité de l’université d’été.
Son programme est comme les années précédentes presque déjà un manifeste donc.
Je poursuis quelques minutes.
La période électorale qui vient de s’écouler peut être dans le futur le prétexte d’un lâche soulagement, d’un refoulement organisé des résultats du premier tour de l’élection présidentielle.
Et pourtant. Marine Le Pen a totalisé 29% du vote ouvrier au premier tour de l’élection présidentielle, François Hollande, 27% des voix (Lionel Jospin avait totalisé 13% en 2002), Jean-Luc
Mélenchon 11% du vote ouvrier.
Ceux qui dans les vapeurs du pouvoir pensent en être quitte avec le peuple se trompent donc. Ceux qui pensaient que la gauche pouvait, ou pourra être victorieuse sans son peuple se trompent
donc. Celles et ceux qui parmi nous pensent que le Front de gauche progressera juste par la linéarité de sa ligne, de son positionnement, de son action se trompent tout autant.
Les élections de 2012 nous placent devant une nouvelle séquence politique, un nouveau match. Et dans le même temps de manière lancinante, permanente, douloureuse, la question du rapport de la
gauche à son peuple est la clef de toute conquête future.
De ce point de vue, l’universitaire Laurent Bouvet auteur du livre Le sens du peuple fait la remarque suivante : « les extrêmes droites en Europe ont d’abord progressé dans des pays
plus riches que la moyenne, souffrant moins des inégalités, je veux parler de la Suisse et de l’Autriche. »
Notre lecture d’une montée de l’extrême droite indexée sur les inégalités sociales est donc en partie fausse. La question culturelle, identitaire, cristallisée par le rapport à l’Islam et à la
défense d’un mode de vie, en un mot la question nationale, même détournée, occupe une grande place dans la détermination du vote.
Nous pouvons nous en tirer à bon compte en disant qu’il ne s’agit là que du comportement de petits blancs, perdus dans leurs pavillons, incultes et incapables de comprendre les évolutions du
monde.
C’est une option. Ou nous pouvons, au contraire, nous pencher sur le problème. Notre construction nationale est fort différente d’un pays comme l’Allemagne basé sur le Heimat, c’est-à-dire le
sentiment d’être chez soi, de la naissance, du sang, du territoire terroir. La nôtre résulte d’un mouvement dont l’une des grandes idées issues de la Révolution française, est que la République
française est la patrie de valeurs, de principes, d’un certain regard sur la liberté humaine.
Ainsi, en liaison nouvelle avec la question européenne et mondiale, la question nationale est redevenue une question politique d’avenir. Et si nous oublions que la République est le seul bien
de ceux qui n’ont rien, alors nous ne serons rien dans la République.
J’ajoute que lorsque nous désertons le terrain du vivre ensemble, qui n’est qu’une expression édulcorée pour parler de la nation, alors ce terrain est vite occupé par les forces du marché, dont
la liberté est le mot-déguisement de la compétition qui livre chacun aux eaux glacées du calcul égoïste.
Sur la question du devenir français, nous avons le devoir de la disputer, de la reprendre à l’extrême droite et à la droite, car enfin ce n’est pas à une tradition politique qui historiquement
a voulu abattre la République que nous allons laisser aujourd’hui le soin de l’incarner.
Le deuxième problème de ce rapport au peuple est la question du rapport à la représentation, à la politique en un mot. La dénonciation uniforme des élites a au moins ceci de bon qu’elle pointe
le réel : la représentation décrochée du réel, l’éradication des couches populaires des lieux de pouvoir, la quasi disparition sur une longue période des organisations politiques dans les
quartiers populaires, leur disparition des instances des partis politiques, et du nôtre, moins vite, avec moins d’ampleur, peut-être, mais du nôtre tout de même.
Vous savez, c’est le moment dans le Congrès où nous appelons le rapport de la Commission des mandats. Et à cette occasion nous constatons la surreprésentation des fonctionnaires et des
professions intermédiaires.
Un débat plan-plan s’en suit, il se conclut généralement en eau de boudin parfois dans l’anathème, ouvriérisme, que sais-je d’autre, ou dans un discours velléitaire.
Ou encore, nous décidons d’ateliers sur les quartiers populaires ou les entreprises parmi dix autres sujets.
Ma critique n’est pas gratuite. Je veux juste réfléchir avec vous sur la question suivante. À force de segmenter notre regard, diversité, jeunesse, femmes, et cætera, de construire le rapport à
l’Autre sur la base de ses différences supposées, ne creuse-t-on pas nous-mêmes les inégalités que nous prétendons combattre.
Quant à moi, je considère insupportable que l’ancien Président de la République se soit félicité d’avoir nommé un Préfet dit de la diversité, c’est-à-dire en fonction de ses origines ou de sa
religion supposée.
Comme il est insupportable de construire une liste municipale en fonction de l’appartenance supposée à telle ou telle ethnie ou religion.
Car il s’agit pour nous de savoir si nous faisons perdurer l’ethnomorphisme, c’est-à-dire l’association d’une couleur de peau, d’une culture ou d’une origine supposée à une citoyenneté, les
grands blonds sont norvégiens, les gens typés viennent d’ailleurs, les musulmans sont des immigrés ou si au contraire notre vocation est d’établir l’égalité des citoyens de la République sans
considérations d’origine ou d’appartenance supposées.
Et à nouveau, les questions de représentation croisent les questions culturelles.
Sur la question démocratique, de grands sujets nous attendent, nous le Parti communiste français, nous le Front de gauche.
Dans les quartiers, avec par exemple un problème simple : notre vocation est-elle d’organiser la solidarité et la politisation populaire ? Notre vocation est-elle de favoriser la
promotion de cadres issus des milieux ouvriers ? Contre les politiques de la ville qui enferment chacun dans son quartier, dans son bout d’immeuble, qui s’adressent aux bobos, aux vieux
prolos, aux jeunes des quartiers comme autant de publics segmentés, notre rôle n’est-il pas de reformer une agora qui rétablisse le sentiment de l’égalité de toutes et de tous ?
La troisième question du rapport au peuple est évidemment la question économique et sociale. Il s’agit de notre terrain de prédilection. Je ne m’y étendrai donc pas. Chacune, chacun voit bien
combien le déclassement, la peur du déclassement, la dégradation du service public dans les territoires interagit avec la formation des idées politiques dans les autres sphères que j’ai
qualifiées de nationale et de démocratique.
Ce développement visait un but. Avec le Front de gauche, la séquence politique qui vient de se clore a permis une avancée spectaculaire : le retour des forces critiques du capitalisme sur
la scène politique. Nous sommes de retour, nous sommes de nouveau dans le match.
Mon sentiment est que le plus difficile commence. Car il ne s’agit plus d’unir des familles, un électorat dispersé par la longue histoire. C’est chose faite à peu de choses près, nous avons
rassemblé dans les urnes le total des voix communistes et d’extrême gauche des élections précédentes.
Il s’agit à présent de viser un déploiement qui dépasse nos frontières actuelles, de viser une hégémonie culturelle nouvelle. Et à partir de cet instant, la vitalité de notre rapport au monde
salarié, aux syndicalistes, aux intellectuels, à la création, aux citoyens sur l’ensemble du territoire se pose avec cette ambition à l’esprit. Car ce n’est plus seulement un problème d’en
haut, un problème électoral, un problème d'efficacité de la parole médiatique, c’est un problème d’en bas/en haut, de créer un écosystème du Front de gauche qui dépasse les hiérarchies
institutionnelles. C’est la question d’un Front
populaire de type nouveau.
J’enchaîne et je développe par une nouvelle idée que vous retrouverez dans La revue du projet. Une des problématiques de cet en bas/en haut, de l’avenir du Front de gauche est la question des
chats et des moutons.
Nous étions moutons, nous sommes devenus chats... À la terrasse ensoleillée d’un café montreuillois, mon partenaire de discussion philosophique estivale osa cette image... Nous étions moutons,
nous sommes devenus chats... et qu’il est difficile de constituer un troupeau de chats !
C'est une image du réel que je crois très juste. Elle résume l’un des problèmes de l’avenir. Réussir à unir une foule qui n'est plus une foule, réussir à constituer en troupeau des consciences
dont la forme actuelle est constituée d’une volonté farouche de souveraineté individuelle et d’autonomie personnelle.
Ainsi, ce que nous appelons transformation de la politique ou des partis, ou du Parti communiste français pour ce qui nous intéresse en premier lieu, n'est pas un chantier contingent des
petites vicissitudes du présent, c'est la recherche d'une culture pratique nouvelle de l'action politique qui puisse entrer en résonance puissante avec les profondes transformations culturelles
de notre civilisation qui ont félinisé notre rapport personnel au monde et à l'action collective.
Pour le meilleur, comme pour le pire, c’est-à-dire de la compétition libérale sans rivage.
Jusque là, l'affaire est assez simple. Jusque là, c'est à dire en mots. Cela se complique immédiatement en pratique. Car le discours d’une culture nouvelle de notre action n'est pas,
malheureusement, performatif. De grandes organisations humaines, scientifiques, économiques, artistique affrontent les mêmes difficultés. C'est le problème de toutes les grandes
révolutions : les outils de la révolution précédente restent formidablement efficaces et ceux de la suivante formidablement compliqués. Et pourtant, les exemples sont désormais légion de
projets humains auxquels la forme coopérative donne une efficacité décuplée. Les troupeaux de chats ont désormais la possibilité de se former et dans le troupeau chacun conserve, développe et
partage ses propres compétences, ses propres appétences, son autonomie propre.
Les formes du développement de l’intelligence sont en train de changer, les processus créateurs se diffusent, se distribuent, la figure du démiurge est en train de se reconstruire pour devenir
un produit collectif. Ainsi paradoxalement, les chats sont moins chats qu’il n’y paraît et la révolution actuelle reformule et intensifie la question collective...
De là un problème : la culture. Car enfin, il n’y a pas de changement dans l’ordre économique et politique qui ne soit précédé d’un changement dans l’ordre de la culture. Car les chats,
car une pratique nouvelle de l’action politique ont besoin d’un écosystème nouveau de représentation, de sens, de valeurs, en un mot de culture.
Ainsi la problématique du Front de gauche, de l’action révolutionnaire aujourd’hui ne peut absolument pas se réduire aux questions tactiques, de gouvernance ou de stratégie électorale qui sont
les plats de résistances de nos congrès, il s’agit de constituer, avec toutes les femmes et les hommes de bonne volonté, l’effort de travail par lequel s’imagine et se fonde l’alternative de
société.
Ou encore, il s’agit de constituer la liaison avec la création, le syndicalisme, la science, les citoyens qui engage le Front de gauche dans un processus qui dépasse la question électorale pour
essaimer dans l’univers de la pensée, de la vie quotidienne, de l’art, de la science et de ses implications sociales.
René Char, cité par Jacques Ralite, disait qu’il faut se souvenir de l’avenir. Se souvenir, oui, mais de l’avenir.
*Patrice Bessac est responsable national de la Revue du Projet, porte-parole du PCF et Conseiller régional d'Ile-de-France