Gaëtan Gorce, sénateur PS de la Nièvre et opposant à la ligne majoritaire lors du dernier congrès du parti qui a élu Harlem Désir premier secrétaire. Après l'affaire Cahuzac et à la veille du conseil national du PS, il plaide pour une refondation totale d'un parti accusé de "dérive clanique".
Quelle est votre opinion sur l'opération de transparence politique mise en place par François Hollande, et plus particulièrement sur l'obligation faite aux parlementaires de rendre publique leur déclaration de patrimoine ?
Gaëtan Gorce : C'est une évolution inéluctable qui ne me dérange pas. Que l'on veuille s'assurer qu'un responsable politique ne profite pas de son mandat pour s'enrichir est une démarche nécessaire. Il faudra néanmoins mettre des bornes, parce qu'on peut très vite entrer dans un système intrusif qui considère les élus comme des gens que l'on doit soupçonner a priori. La vraie question reste pourquoi des membres socialistes qui tendaient vers les plus hautes responsabilités ont-ils pu s'affranchir à ce point des règles ? Quand cela arrive une fois, on peut toujours dire que c'est un accident. Quant cela se répète, c'est le signal qu'il y a un problème.
Vous avez écrit sur votre blog que le Parti socialiste répondait à un"système clanique". Qu'entendez-vous par là ?
J'essaye de trouver une explication à ce qui a pu se passer avec Dominique Strauss-Kahn il y a quelques mois, et aujourd'hui avec Jérôme Cahuzac. Le PS n'est pas un parti corrompu produisant des responsables corrompus, mais il s'est affranchi des règles normales de fonctionnement d'un parti politique pour leursubstituer un système d'arrangements entre des clans. Autrefois, ces clans étaient des courants avec des lignes politiques et des personnalités concurrentes. Ils se sont progressivement transformés en groupes d'intérêts s'auto-protégeant et s'auto-promouvant.
On l'avait déjà vu à la présidentielle de 2007 : Ségolène Royal a été finalement désignée parce qu'elle était populaire chez les militants et les sympathisants de gauche, qui avaient compris l'existence de ce système oligarchique et estimaient que Ségolène Royal se définissait contre ce système. On a fait les primaires pour la même raison car on avait compris que le système n'était plus assez légitime pour désigner un candidat incontestable.
"Oligarchie", "clans", "système", ce sont des termes violents...
Je parle de façon directe parce qu'on n'a plus l'habitude, au PS, de nommer les problèmes. Or, cette dérive clanique peut conduire à des situations insupportables pour tous les socialistes et pour tous les Français de gauche. Jérôme Cahuzac a été propulsé moins par les structures internes du parti que par le soutien des hommes et des femmes de son clan au sein de l'appareil. On en voit le résultat. Il faut donc en tirer les conséquences.
François Hollande a été le premier secrétaire du PS pendant onze ans. A-t-il une responsabilité dans ce système que vous décrivez ?
Il a une part de responsabilité, comme tous ceux qui ont dirigé le parti. Mais François Hollande n'a jamais trempé dans ces fonctionnements. Il n'a jamais constitué un courant, ce n'est pas l'homme d'un clan car il savait que ce mécanisme était redoutable. Si on peut lui faire un reproche, c'est d'avoir été parfaitement conscient de ces dérives et de ne pas y avoir mis un terme comme premier secrétaire. Il ne les a pas avalisées, il ne s'est pas compromis avec, mais il n'a pas essayé de les réformer.
Le PS dirigé par Harlem Désir tient un conseil national samedi 13 avril. Est-il à la hauteur des événements ?
Le calendrier nous dit tout. La gauche est au pouvoir depuis dix mois. Il y a eu dans le pays un grand débat européen en juin autour de la promesse de François Hollande d'infléchir la stratégie de l'UE en matière de croissance, puis un grand débat sur les enjeux économiques et sociaux depuis l'automne. Aujourd'hui, il y a de nouveau un débat sur les perspectives de croissance et un autre – et pour cause – sur l'éthique politique. Pendant ce temps, le PS n'a réuni son conseil national que deux fois, en novembre et samedi dernier, et pour seulement quelques heures à chaque fois.
Les instances collégiales du parti sont dévitalisées. Prenons un exemple de l'inertie du parti. François Hollande est dans un contexte diplomatique complexe en Europe : il doit travailler avec nos partenaires conservateurs et ne peut pasrenverser la table. Le chef de l'Etat est donc contraint à une forme de prudence et de modération. Mais le parti, lui, n'est pas soumis aux mêmes exigences. Or, la politique d'austérité à l'échelle européenne compromet nos emplois et nos industries. La gauche européenne, et le Parti socialiste français en tête, devrait donc se mobiliser à l'occasion des prochaines élections européennes pour faireen sorte qu'une nouvelle ligne s'impose. Ce n'est malheureusement pas ce qu'il se passe.
Que proposez-vous pour changer le PS ?
Il faut d'abord qu'on arrête de se mettre un bandeau sur les yeux et que l'on regarde la réalité en face. Je sais que mes propos scandalisent certains dirigeants de mon parti ; en revanche, ils sont hélas tout à fait compris par nos électeurs et nos sympathisants.
Ensuite, il faut se fixer un objectif de refondation totale du PS. Le PS n'est plus, il faut le faire renaître. Les accumulations d'affaires et l'absence de délibérations collectives montrent que nous avons perdu le fil de l'héritage. Pour le retrouver, il faut un changement organisationnel qui réinsuffle de la démocratie. Il faut aussi un changement philosophique en remettant à plat le projet socialiste au vu des nouveaux enjeux planétaires et écologiques. Il faut enfin reconstruire une morale politique de l'engagement collectif. Ne pas se laisser corrompre par les vents dominants de l'ultra-libéralisme, selon lesquels tout serait permis : la compétition serait la seule règle et l'enrichissement personnel le but ultime.
Comment comptez-vous y arriver ?
Je propose la mise en place d'un "comité des irréprochables" composé d'anciennes personnalités du PS qui n'ont aujourd'hui plus d'intérêts dans le parti, d'universitaires, de scientifiques, d'intellectuels marqués à gauche et de citoyens sympathisants tirés au sort. Ce groupe d'une vingtaine de personnes devra fairedes propositions fortes pour que le PS redevienne lui-même. Je ne crois pas, hélas, à notre capacité à changer en interne. La bourgeoisie de l'appareil socialiste ne voudra jamais abandonner son pouvoir. Même s'il y aura inévitablement des changements au PS. Harlem Désir est un premier secrétaire privé de légitimité et de moyens d'agir. Cela ne peut pas continuer comme cela. Tout le monde le reconnaît en privé : le PS n'est pas en situation d'aider le président de la République et le gouvernement.
La rénovation par le non cumul des mandats ou par la parité ne vous semble-t-elle pas suffisante ?
On nous dit que la parité ou le non-cumul, que je soutiens, vont tout changer, mais c'est faux. On va simplement remplacer des gens par d'autres gens qui leur ressemblent trait pour trait, qui auront trempé dans les mêmes arrangements et suivi les mêmes parcours. Il y a deux voies parallèles pour intégrer désormais le PS : le réseau des élus et la voie technocratique des hauts fonctionnaires. La professionnalisation des responsables du PS se fait de plus en plus tôt : à peine sortis de l'université, ils sont dans l'environnement des élus et aspirent à lesremplacer.
Envisagez-vous de quitter le PS ?
Malheureusement, j'y pense presque tous les jours. Je n'éprouve aucune satisfaction à en parler comme je le fais. J'ai adhéré au PS à 16 ans. Je suis plus socialiste que jamais, mais je me sens très mal à l'aise dans mon parti car je ne vois pas les choses bouger ni les moyens de les faire bouger. Le PS a subi une défaite au premier tour de la présidentielle en 2002 et n'a pas changé, il a subi l'affaire DSK et n'a pas changé. Il subit l'affaire Cahuzac et ne veut pas changer... Avant que le bateau sombre, il peut se passer un certain temps. L'agonie peutdurer très longtemps. Je ne peux pas m'empêcher de faire un parallèle avec le Parti radical des années 1930 qui, comme le PS, était un grand parti, avec de grandes personnalités et un grand projet, et s'est petit à petit affadi au point dedevenir simplement un élément d'un système.
Vos critiques s'apparentent-elles au "coup de balai" proposé par Jean-Luc Mélenchon au Front de Gauche ?
Si je parle, c'est justement parce que je veux éviter le coup de balai qui fait croirequ'il suffit de changer les hommes pour que tout aille mieux. La colère de Mélenchon est légitime, mais c'est une réponse démagogique. Le rôle de la gauche n'est pas d'exacerber les passions. Mais je comprends Jean-Luc, parce que je sais qu'au PS, il a vécu, comme moi aujourd'hui, cette impuissance àchanger les choses de l'intérieur.
Le 5 mai, cela fera un an que François Hollande est à l'Elysée. Quel bilan tirez-vous de cette première année ?
On a le sentiment que le président de la République n'a pas encore fait tous les choix. Il a été très marqué par l'idée que la société française a été déchirée durant les dix dernières années. De cette prudence, il conclut qu'il faut avancer pas à pas. François Hollande se cherche toujours. Il a pris beaucoup de décisions courageuses, comme l'effort de réduction des dépenses publiques, mais paradoxalement, on ne les assume pas complètement.
Il faut maintenir cet effort pour retrouver des marges de croissance dès 2014. La dernière fois que j'ai vu François Hollande à l'automne, je lui ai dit : "Tu dois réussir car ton succès sera celui de notre génération." Mais son handicap est que la gauche n'avait pas préparé son arrivée au pouvoir. On a laissé croire que c'était le cas, mais les gens à l'intérieur comme moi savent très bien que le PS n'a pas préparé les échéances économiques, européennes, écologiques...
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ALORS VAS-T-EN, C'EST ENCORE LE MOMENT