Le 9 mai 2008
Un article de Greg Oxley selon lequel, pour Yves Dimicoli (PCF) , il faudrait subventionner les capitalistes pour combattre le capitalisme, déclanche la réponse de Gisèle Cailloux
(PCF), qui se dit "choquée" par le contenu de l’article de Greg Oxley.
...
"Je pourrais, comme le fait Greg Oxley, faire une page de démonstration taxant la sécurité sociale de mesure réformiste.
En effet, avec la montée des besoins de personnels de plus en plus qualifiés, on peut considérer que notre sécu permet de conserver en bon état d’employabilité ces salariés si utiles pour créer
les richesses qui sortent de nos entreprises et à partir de là, considérer qu’il s’agit d’un présent au patronat !
Pas sérieux ! Mais pas sérieux non plus de dire que les propositions du parti soutenues par Yves Dimicoli ressortent de cadeaux aux capitalistes.
Quel rôle jouent les banques vis-à-vis des entreprises aujourd’hui ? De la même façon qu’elles ont des critères pour prêter aux particuliers qui souhaitent investir dans l’immobilier
(critère de solvabilité et de bonne santé) elles ont des critères qui classent les entreprises en fonction de leur rentabilité actuelle mais aussi prévisible : par exemple Latécoère
n’obtient pas, pour l’instant et dans l contexte actuel, les soutiens bancaires lui permettant l’achat des établissements EADS : l’aéronautique étant considéré comme à risque à moyen
terme.
En fonction de ces critères, les banques prêttent aux grosses entreprises au taux du marché parmi les plus bas. Souvent l’objectif de ces emprunts vise à racheter d’autres entreprises, à investir
dans les zones à bas coût, à lancer des OPA etc.…
Cela libère d’autres ressources, notamment les profits, qui seront investis sur les marchés financiers.
Au bout de l’opération, c’est des suppressions d’emplois massives, des fermetures de sites. Au mieux, ou en plus, comme il ne faut pas que les frais financiers viennent perturber la profitabilité
de l’entreprise au service des dividendes des actionnaires, c’est une pression accrue sur les salaires, et sur le réseau de sous-traitant déjà bien étranglé et sommé de baisser ses prix dans des
proportions importantes. Ce sont des campagnes pour obtenir la réduction des cotisations sociales appelées « charges » qui seraient la cause de tous nos maux et des difficultés de
compétitivité de l’entreprise.
L’argent des banques est donc fortement mobilisé dans toutes les opérations qui visent à redistribuer les « parts de marché », à gonfler les profits, à alimenter toutes les spéculations
financières.
Pour les PME qui veulent se développer, le tarif est différent : soit refus pour cause de manque de garanties de solvabilité, soit prêts à des taux bien plus élevés que ceux qui sont
pratiqués pour les grosses entreprises.
En quoi consiste donc ces bonifications d’intérêt exposé par Y. Dimicoli ?
Prenons l’exemple des 27 milliards d’exonération de charges sociales. Ces exonérations de cotisations sociales viennent en réduction du prix payé à la force de travail. Ils entrent directement de
ce fait dans le profit financier de l’entreprise qui sera en grande partie redistribué aux actionnaires et – ou utilisée dans les fonds spéculatifs (seule une faible part des profits est
réinvestie).
Servons nous de ces 27 milliards pour bonifier des taux d’intérêt. À 5% de taux d’intérêt, cela permet de mobiliser 540 milliards pour investir.
Mais évidemment, il ne s’agit pas de faire de l’angélisme.
Cela doit s’accompagner d’une augmentation considérable des droits d’intervention réels des salariés et de leurs organisations syndicales, des droits des collectivités locales, départementales,
régionales et nationales tant la question du développement de l’emploi sur nos territoires concerne aussi toutes les collectivités et les citoyens.
Ces bonifications d’intérêts ne sauraient donc intervenir sans concertation avec ces collectivités et l’appui des organisations syndicales, des comités d’ entreprises, avec des objectifs prenant
en compte l’avenir des entreprises et de leur production.
Ces bonifications concernent donc bien des projets précis de développement d’entreprises en concertation avec les besoins : quel type d’emplois, dans quels domaines etc.….
Il ne s’agit pas de subventions mais bien d’une bonification d’intérêt, pas un détail !.
Donc d’un côté 27 milliards d ‘exonérations de cotisations sociales pratiquées par les gouvernements de droite et socialistes, qui gonflent d’autant les profits, de l’autre 27 milliards qui
permettraient de dégager 540 milliards de prêts pour développer les entreprises et l’emploi.
Autant de moins pour alimenter la bulle spéculative !
Je ne crois pas que les capitalistes, eux qui font le choix de la spéculation (y compris dans la majorité des entreprises réelles) nous remercieront de leur imposer cela.
Le capital s’intéresse au mouvement de l’argent selon la bonne vieille formule A, M, A’. Avec de l’argent, je fais des marchandises pour faire encore plus d’argent. Est-ce que la question de
l’argent et donc de la maîtrise du crédit devrait rester chasse gardée du capital ? Si nous nous en saisissons ne peut-on pas donner une autre orientation des choix économiques au service
des besoins du peuple ? Aller bien au delà des 27 milliards de cotisations sociales et des 540 milliards d’investissements qu’ils génèrent ?
Sur ce sujet et notamment l’articulation indispensable entre d’une part la maîtrise et l’utilisation du crédit et d’autre part les droits nouveaux des salariés avec intervention réelle dans les
choix de gestion, je conseille à Greg Oxley de lire le projet de loi sur la sécurité d’emploi et de formation.
Cela ne s’oppose pas bien sûr à la réappropriation sociale d’entreprises privatisées (et d’autres). D’ailleurs, concernant le secteur bancaire, Y.Dimicoli parle de « pôle public bancaire
incluant…des banques renationalisées… » (Il faut tout lire !).
Il faut bien sûr être très « incitatif » auprès des banques et notamment de la BCE (qui conditionne beaucoup de pratiques des banques nationales) pour que celles-ci favorisent l’emploi
plutôt que la spéculation, d’où le « service public de crédit » invoqué par Y. Dimicoli.
Faut-il attendre d’avoir tous les pouvoirs et surtout celui de l’Etat (sans les réformistes du PS bien sûr !) pour commencer à avancer et agir pour expérimenter sur ces questions ?
Autant suivre le mot d’ordre d’A. Laguiller : réquisitionnons les usines !. C’est beau comme du Verlaine mais on n’est pas prêt d’en voir le bout !
D’autant que l’Etat pourrait s’avérer insuffisant, devant l’Europe et même le monde.
Bien avant que le gouvernement issu de 1945 institue, sous la houlette d’un ministre communiste (dans un gouvernement qui ne l’était pas !), la sécurité sociale, il y a eu des créations et
développements de mutuelles et donc des expérimentations de systèmes de soin solidaires.
Sarkozy est au pouvoir, mais la gauche, avec des élus communistes, possède la quasi-totalité des régions, de nombreux départements, de nombreuses villes. On peut, à ces niveaux, construire
effectivement, avec l’appui des élus communistes, des contrepouvoirs et expérimenter, partiellement bien sûr, cette utilisation des fonds publics pour développer l’emploi.
Face aux ravages de la financiarisation mondiale (on parle d’une estimation à 945 milliards de dollars auxquels sont exposées les institutions financières à partir de la crise financière
actuelle) , des luttes se développent pour refuser les fermetures d’usines mais aussi pour imposer des embauches, des augmentations de salaires, la reconnaissance des qualifications. À partir de
ces luttes monte la question de l’utilisation de l’argent et de la nécessité d’avoir d’autres réponses que celles qui sont mises en œuvre par les gouvernements pour freiner les effets de la
financiarisation.
Ces réponses gouvernementales sont d’ailleurs à l’origine d’autres spéculations. Après la crise des subprimes, les financements d’Etat pour renflouer les banques se sont en parti porté sur
l’alimentaire avec la hausse des prix qui en résulte dans le monde et les révoltes de la faim.
Il faut donc en finir donc avec ces subventions sans contrôle réel qui sont effectivement cadeaux et utiliser cet argent, non pas pour se contenter d’une redistribution ce qui n’aurait que des
effets limités mais comme d’un formidable levier pour un développement de l’économie au service des besoins de tous. Ce levier, c’est la bonification des taux d’intérêt pour des emprunts
réellement destinés à développer l’entreprise et l’emploi.
Je le répète, 27 milliards de cotisations sociales, c’est 540 milliards pour développer des entreprises.
Ces expérimentations à partir des communes, des régions et en appui aux luttes peut avoir un effet boule-de-neige : faire monter les exigences au national pour que soit mis un terme aux
exonérations de cotisations sociales, pour en finir avec des subventions non maîtrisées, pour imposer aux banques, la BCE en premier lieu, que l’argent soit mobilisé pour l’emploi et non pour la
spéculation. Et pourquoi pas, un effet boule de neige sur l’Europe, et sur le monde (voir ce qui bouge en Amérique Latine).
Yves Dimicoli : pour combattre le capitalisme, il faut subventionner les capitalistes !
Le 20 mai 2008, par F. Boccara
Frédéric Boccara répond à Greg Oxley
"Avoir un financement à taux bonifié des prêts, c’est à dire des prêts bancaires bonifiés sous condition de création/développement d’emplois, et de création de richesses (valeur ajoutée) utiles,
c’est exactement l’inverse d’une subvention aux capitalistes : il y a deux façons de le dire :
c’est les obliger à dépenser pour payer les salaires et utiliser leur argent (profits et crédit) pour
rembourser des investissements productifs et efficaces (au lieu d’investissements productifs contre l’emploi ou d’investissements financiers)
au lieu de la politique actuelle de baisse de coût du travail (qui prétend justement aider les
travailleurs, alors qu’elle fait l’inverse), ce serait une politique de baisse de coût du capital, donc l’inverse : faire entrer dans une sorte de "concurrence" au moindre coût du capital à
condition que ce moindre coût soit affecté à des salaires, des qualifications, des embauches.
Sens politique
Et, surtout, pour que cela marche, cela veut dire qu’il faut
(1) que les banques prêtent pour cela, ce qui est loin d’être évident,, d’où le besoin d’un pôle public bancaire élargi (c’est à dire des nationalisations) mais on peut commencer avec le "petit"
pôle public actuel (Banque Postale, Caisse des dépôts, voire secteur mutualiste) en revendiquant son élargissement
(2) suivre ce à quoi va être utilisé le prêt (est-ce que ça fait des richesses utiles ? est-ce que ça crée des emplois ?)
(3) pouvoir revenir sur la bonif ou la maintenir
(4) pouvoir en amont faire monter des projets d’investissements et de dépenses sociales utiles dans un démarche autogestionnaire sur les besoins
— > Bref, en réalité, tout cela, est loin d’être technique, mais exige des institutions nouvelles, où les travailleurs-euses, et les populations font monter les besoins de dépenses, sont
en dialogue/bras de fer avec les directions d’entreprises et/ les banques, mais ont un levier qui est la bonification elle-même qui peut être maintenue, développée, ou réduite, voire supprimée...
(et puis si cela est massif, ce qu’il faut, alors les capitalistes vont trouver qu’il n’y a plus assez de prêts pour aller à la spéculation, aux délocalisations, etc. ET même, avant cela, ils
vont trouver que cela fait —certes temporairement— de l’inflation et du capital pas assez rentable. C’est donc un bras de fer gigantesque. Mais accessible dès à présent et dès le terrain.
C’est à dire, en forme de boutade, que cela demande "des soviets partout" ! Mais en rivalité avec l’existant. Pas en attendant d’avoir effacé l’existant d’un coup de baguette magique, même
s’il faudra que cet existant disparaisse.
...
Sur le programme économique du PCF. Réponse à Gisèle Cailloux
Gisèle Cailloux, membre du Conseil National du PCF, a été « choquée » par l’article que nous avons publié dans notre journal, sur notre site web, et qui a pour titre :
Yves Dimicoli : pour combattre le capitalisme, il faut
subventionner les capitalistes ! Elle nous a envoyé un texte pour répondre à l’article (ici). Par ailleurs, le site du réseau « Action Novation Révolution » (Yves Dimicoli, Nicolas Marchand, etc.) publie
l’article de Gisèle Cailloux et reproche à La Riposte d’avoir engagé « une mauvaise polémique sur des propositions révolutionnaires ». Malheureusement, Gisèle ne répond à aucun
des arguments de Greg Oxley. Elle se contente de reformuler la proposition de Dimicoli. Ce dernier propose la prise en charge totale ou partielle des intérêts sur les emprunts contractés par les
capitalistes, à condition que ceux-ci investissent pour créer des emplois et/ou des formations.
Que Gisèle Cailloux le veuille ou non, cette prise en charge constituerait bel et bien une subvention accordée aux capitalistes. Et comme Greg Oxley l’expliquait dans l’article en
question, non seulement cette mesure n’a absolument rien de « révolutionnaire », mais elle n’apporterait strictement rien aux travailleurs, et ne devrait pas figurer dans le programme
du PCF. Gisèle Cailloux déclare que ces subventions auraient pour contrepartie de « nouveaux droits » pour les salariés. Nous reviendrons sur ce point un peu plus loin. Mais une
subvention est une subvention, même sous conditions, et même si on la rebaptise « bonification ».
La Riposte est tout à fait favorable à un débat ouvert, fraternel et constructif entre communistes sur des questions de théorie, de programme et de stratégie. De ce point de vue, le
texte de Gisèle Cailloux est bienvenu. Cependant, il importe de ne pas faire dire aux camarades ce qu’ils n’ont jamais dit. Gisèle Cailloux écrit : « Je pourrais, comme le fait Greg
Oxley, faire une page de démonstration taxant la Sécurité Sociale de mesure réformiste. » Or, dans son article, Greg Oxley ne parle pas de la Sécurité Sociale, et jamais La
Riposte n’a présenté la Sécurité Sociale comme un « présent » ou une subvention accordée aux capitalistes. Inutile de polémiquer contre des idées qui ne sont pas les nôtres.
L’introduction de la Sécurité Sociale était effectivement une réforme – et une réforme très importante. Actuellement, elle est menacée par les capitalistes et leur gouvernement. La
Riposte soutient sans réserve la lutte pour défendre cette réforme ainsi que toutes les autres conquêtes sociales. Les travailleurs ont tout intérêt à se mobiliser massivement pour défendre
la Sécurité Sociale. Par contre, on imagine difficilement un mouvement de grève ou des manifestations pour réclamer des prêts bancaires moins chers pour le patronat !
Le marxisme ne s’oppose pas à la lutte pour obtenir des réformes ou pour défendre et améliorer des réformes obtenues par le passé. Mais il se distingue du réformisme, qui lui se
limite à des réformes et autres palliatifs dans le cadre du capitalisme. Tant que le capitalisme existera, les réformes obtenues dans le passé seront menacées. La lutte pour la défense
des réformes sociales est donc indissociable de la nécessité d’en finir avec le capitalisme.
La camarade ouvre son argumentation par une explication du rôle des banques. Les banques ne prêtent pas à n’importe qui, dit-elle. Elles ont des critères de solvabilité. Elles veulent des
garanties pour être sûres de retrouver l’argent qu’elles prêtent – plus les intérêts. Là où elles estiment que les risques sont plus importants, elles refusent les financements demandés, ou les
accordent à des tarifs plus élevés. Gisele précise aussi que les banques participent à des restructurations, des délocalisations, des OPA, des fusions, etc., avec, à la clé, des suppressions
d’emplois. Elle dit que les profits dégagés par de telles opérations sont souvent réinvestis dans la spéculation financière. Tout ceci est parfaitement exact. Mais Gisèle ne nous dit pas pourquoi
cela changerait si les intérêts sur les crédits accordés aux capitalistes étaient pris en charge par les contribuables. Du coup, on ne voit pas en quoi cette description des pratiques bancaires
milite en faveur des subventions proposées. Elle écrit : « Par exemple, Latécoère n’obtient pas, pour l’instant et dans le contexte actuel, les soutiens bancaires lui permettant
l’achat des établissements EADS : l’aéronautique étant considéré comme à risque à moyen terme. » Mais le PCF est-il favorable à l’achat des usines d’EADS par Latécoère ?
Espérons que non. Si Latécoère manque d’argent pour développer son empire capitaliste et poursuivre à une échelle encore plus grande sa politique rétrograde à l’égard des salariés, ce n’est pas
le problème du PCF. L’agrandissement de Latécoère n’aurait rien de progressiste. Que vient faire cet exemple dans le débat ?
Exonérations et « bonifications »
Gisèle explique que les 27 milliards d’exonérations de cotisations sociales dont les capitalistes bénéficient chaque année – et qui pour la plupart ont été mises en place, rappelons-le, sous le
gouvernement socialiste-communiste de 1997-2002 – reviennent à augmenter les marges de profit des capitalistes, qui servent souvent à des opérations spéculatives. C’est exact, et la camarade a
raison de dénoncer ces exonérations qui ont été approuvées, à l’époque, par les dirigeants du PCF.
Mais là où nous ne suivons plus Gisèle Cailloux, c’est lorsqu’elle présente comme « révolutionnaire » l’idée d’utiliser ces 27 milliards pour payer – sous certaines conditions – les
intérêts que ces mêmes capitalistes doivent aux banques. Elle semble voir dans cette nouvelle forme de subvention quelque chose de radicalement différent. « Il ne s’agit pas de
subventions mais bien d’une bonification d’intérêt, pas un détail ! », écrit-elle : « …d’un côté 27 milliards d’exonérations de cotisations sociales pratiquées par
les gouvernements de droite et socialistes, qui gonflent d’autant les profits, de l’autre 27 milliards qui permettraient de dégager 540 milliards de prêts pour développer les entreprises et
l’emploi. » Pour parvenir au chiffre de 540 milliards, Gisèle prend l’exemple d’un taux d’intérêt de 5%. Ainsi, grâce à la prise en charge, par l’Etat, des 27 milliards d’intérêts, les
capitalistes n’hésiteraient pas à s’endetter à hauteur de 540 milliards – le tout en créant des emplois, des formations (correctement payées, bien sûr !), et en accordant toute une série de
« nouveaux droits » aux salariés.
En fait, cette argumentation ne tient pas la route une seconde. Les emprunts contractés par les capitalistes ont un coût pour eux. Il leur faut rembourser les sommes empruntées, plus les
intérêts. Or, d’où vient l’argent de ces remboursements ? De l’exploitation du travail salarié. Si, comme le propose Dimicoli, l’Etat réduit le montant que le capitaliste doit payer aux
banques en transférant le fardeau sur la collectivité, ceci revient à augmenter d’autant la part de la plus-value (le travail impayé du salarié) que conserve le capitaliste. Les exonérations et
les « bonifications » sont deux façons de parvenir à un résultat identique : augmenter la rentabilité du capital. La seule différence entre les deux propositions, c’est que les
actuelles exonérations de cotisations sociales s’appliquent – selon divers critères – à l’ensemble des capitalistes, alors que les « bonifications » proposées par Dimicoli seraient
réservées aux capitalistes ayant le double mérite d’embaucher des travailleurs à exploiter et… de plonger leurs entreprises dans la dette.
Gisèle avance l’argument selon lequel les frais financiers des capitalistes les incitent à renforcer l’exploitation des salariés et à tirer tous les coûts vers le bas : « Comme il
ne faut pas que les frais financiers viennent perturber la profitabilité de l’entreprise au service des dividendes des actionnaires, c’est une pression accrue sur les salaires, et sur le réseau
de sous-traitant déjà bien étranglé et sommé de baisser ses prix dans des proportions importantes. » En effet, si les capitalistes avaient à payer 27 milliards d’intérêts, ils le
feraient à partir de la plus-value extraite de l’exploitation des salariés. Toutes les ressources financières des capitalistes viennent de cette exploitation, directement ou indirectement. Mais
Gisèle semble oublier que ceci est vrai non seulement des intérêts, mais aussi du montant de l’emprunt – à savoir les 540 milliards que les banques auraient versés dans leurs coffres
« pour investir » ! Si une charge de 27 milliards se traduisait, selon l’argumentation de Gisèle, par une pression accrue sur les salaires et les conditions de travail, que dire
des 540 milliards qui restent tout de même à rembourser ? Cette somme colossale devrait elle aussi être retrouvée au moyen d’une exploitation accrue des salariés. C’est pour cette raison que
La Riposte n’est pas d’accord avec la politique économique actuelle du PCF (dont Yves Dimicoli est l’un des principaux inspirateurs) dans laquelle le crédit, c’est-à-dire
l’endettement, occupe la place centrale, et est manifestement considéré comme un moyen d’annuler ou de contourner les mécanismes de l’économie capitaliste, tout en laissant le système
intact.
Par ailleurs, si l’on admet que les frais financiers des employeurs sont nuisibles aux intérêts des salariés, parce que l’employeur s’acharne davantage contre les conditions de travail et les
salaires afin d’en extraire plus de profit, ce schéma ne s’applique-t-il pas aux employeurs que sont les « collectivités locales » et l’Etat ? Le fait que la dette publique ait
atteint des niveaux historiques est l’argument principal du gouvernement pour accroître le degré d’exploitation et de précarité des travailleurs dans les administrations et les services publics.
Même si on acceptait l’argument – complètement fallacieux, en l’occurrence – selon lequel des employeurs n’ayant pas d’intérêts à payer seraient moins implacables à l’égard des salariés, la
proposition de Dimicoli reviendrait à transférer la charge aux salariés du secteur public. Par la générosité d’un Etat lui-même massivement dans le rouge (1200 milliards d’euros de dette),
Dimicoli et Cailloux invitent la classe capitaliste à s’endetter à hauteur de 540 milliards d’euros – soit cinq fois les bénéfices annuels des entreprises du CAC 40 ! – « pour
créer des emplois ». Ainsi va le programme « communiste » de ces camarades !
Usine à gaz
La politique économique actuelle du PCF est un ensemble de mesures fiscales en faveur des capitalistes qui « favorisent l’emploi », assorties de taxes sur les profits, sur les
opérations de spéculation financière, d’amendes et des sanctions contre les capitalistes qui font des choses répréhensibles, etc. L’Humanité et L’Humanité Dimanche ont publié
plusieurs textes estimant à 80 milliards d’euros la somme que pourrait récolter l’Etat par l’application des taxes proposées par le parti. Ce système de « bonus-malus », pour reprendre
l’expression employée dans le programme du parti, est tout ce que la direction actuelle a trouvé pour remplacer l’expropriation des capitalistes, désormais bannie des textes officiels.
Ici, Gisèle proteste : Dimicoli, dit-elle, a évoqué une éventuelle renationalisation des banques. Mais, en tant que membre du CN, elle doit savoir que cette mesure n’est pas clairement
formulée dans les textes du parti – et, surtout, qu’elle est totalement absente de sa propagande publique. Dans le domaine industriel, même dans le cas d’entreprises directement menacées de
fermeture ou de délocalisation, la direction nationale du parti n’a jamais milité pour leur nationalisation sous le contrôle des salariés. La vérité, c’est que le programme du PCF est entièrement
fondé, d’un bout à l’autre, sur le maintien de la propriété privée des banques et des moyens de production.
Mais, objectera-t-on peut-être, les dirigeants du parti ne se déclarent-ils pas favorables à la « réappropriation sociale » des entreprises ? Il est vrai qu’on trouve cette
expression, ici et là, dans les textes du parti. Mais ce qu’il faut entendre par là est plutôt vague. Cette formule permet avant tout d’éviter de parler de nationalisation ou d’expropriation des
capitalistes. Prenons le cas précis des travailleurs d’Air France. Cette entreprise a été privatisée sous l’autorité directe d’un ministre communiste. Pour « faire passer la pilule »,
le ministre en question, Jean-Claude Gayssot, a distribué des actions aux salariés à hauteur de 11% du capital de l’entreprise, et ne s’est pas privé de présenter cette manœuvre comme une
« conquête » en matière
d’« appropriation sociale ». Gisèle mentionne cette notion dans son texte. Les propositions de Dimicoli, dit-elle, « ne s’opposent pas bien sûr à la réappropriation sociale
d’entreprises privatisées (et d’autres) ». Mais l’exemple d’Air France (et d’autres) nous oblige, à notre grand regret, à interpréter cette affirmation dans le sens inverse, à savoir
que de toute évidence, dans l’esprit des dirigeants du parti, les propositions de Dimicoli et la « réappropriation sociale » ne sont pas incompatibles avec la
privatisation ! Mais peut-être que Dimicoli et Cailloux reconnaissent que la privatisation d’Air France – entre autres – était une erreur ? Dans ce cas, qu’ils le disent
publiquement et en réclament la re-nationalisation.
Pour mémoire, rappelons que le gouvernement de 1997-2002 a massivement privatisé. La valeur des biens publics transférés au secteur capitaliste était de 31 milliards d’euros, sans que les
dirigeants du PCF ne lèvent le petit doigt pour l’empêcher – et, dans biens des cas, avec leur participation active. Gisèle nous conjure de « tout lire ». Oui, il faut tout lire. Mais
il faut surtout juger de la fiabilité politique des dirigeants du parti à leurs actes. C’est en tout cas ce que font les travailleurs. Et ceci explique largement l’effondrement des bases
militante, sociale et électorale du parti au cours de la dernière période.
Le programme de La Riposte comprend des revendications dans le domaine de l’emploi, des conditions de travail, de la santé, du logement, de l’éducation, de la lutte contre le racisme,
etc. Notre démarche n’est pas, comme le suggère Gisèle Cailloux, d’« attendre d’avoir tous les pouvoirs et surtout celui de l’Etat (sans les réformistes du PS bien sûr !) pour
commencer à avancer et agir pour expérimenter sur ces questions ». Non, bien sûr, nous sommes favorables à toutes les avancées qui pourront améliorer les conditions des travailleurs ou
mieux les défendre contre les ravages du capitalisme. Par contre, cela ne veut pas dire avancer n’importe quelle « expérimentation ». De notre point de vue, subventionner les
capitalistes est une fausse réforme, un leurre, qui a déjà été maintes fois « expérimenté » sous diverses formes et sans le moindre résultat.
Les capitalistes ne s’intéressent ni au développement des entreprises, ni à l’emploi. Ils s’intéressent uniquement au profit. Et si la préservation de leurs profits passe par la destruction
d’entreprises, ils n’hésitent pas une seconde. Parfois, il est vrai, ils embauchent. Il arrive que les maîtres aient besoin de quelques esclaves supplémentaires. Mais comme Greg Oxley
l’expliquait dans l’article auquel répond Gisèle, « quand un capitaliste lance un projet comme, par exemple, l’ouverture d’un supermarché, il fera étudier de très près ses besoins en
matière d’embauche. Chaque poste de travail, les heures de travail qui sont à effectuer, le type de contrat à proposer, etc., sont étudiés et réduits au strict minimum nécessaire au
fonctionnement du magasin. Le but du capitaliste, en toute circonstance, c’est d’embaucher le moins possible, d’une part, et d’autre part d’extraire le maximum de plus-value possible de
chaque heure de travail effectuée, en tirant tous les coûts vers le bas, à commencer par les coûts salariaux. Ensuite, effectivement, le capitaliste s’intéressera aux aides et ristournes que
l’Etat lui proposera. Ces aides augmenteront la rentabilité de son entreprise. Mais aucun capitaliste, absolument aucun, ne va embaucher un travailleur dont il n’a pas l’utilité, avec ou sans les
subventions publiques. La mesure que propose Dimicoli ne favoriserait en aucune manière l’embauche. Elle ne ferait qu’augmenter les profits encaissés par le capitaliste à partir de l’exploitation
des salariés dont il a besoin. »
Gisèle Cailloux ne répond pas à ces arguments. Elle préfère caricaturer notre point de vue en écrivant : « Autant suivre le mot d’ordre d’Arlette Laguiller : réquisitionnons
les usines ! C’est beau comme du Verlaine mais on n’est pas prêt d’en voir le bout ! » C’est bien la première fois qu’on aura comparé la prose de Lutte Ouvrière à l’œuvre de
Verlaine. Mais plus sérieusement, la camarade Cailloux s’attaque une fois de plus à une idée qui n’est pas la nôtre. La Riposte n’a jamais réclamé la « réquisition » des
entreprises. Par contre, il est vrai que nous nous efforçons d’expliquer – en lien avec les luttes défensives ou pour des avancées plus immédiates – la nécessité d’en finir avec la propriété
capitaliste de toutes les banques, des compagnies d’assurances et des organismes de crédit, de toutes les industries importantes, des entreprises de la grande distribution – et la nécessité de
placer tous ces grands leviers de l’économie sous le contrôle et la gestion démocratiques des travailleurs eux-mêmes. Cet objectif forme l’axe central de notre propagande, et il devrait aussi, à
notre avis, former l’axe central du programme du PCF. Au lieu de quoi nous avons affaire à une usine à gaz de mesures fiscales complètement incohérentes et irréalistes, qui visent à imprimer une
« logique anti-capitaliste » au capitalisme !
Pour Dimicoli et la direction actuelle du parti, la lutte pour l’expropriation des capitalistes n’est plus à l’ordre du jour. Elle ne trouve, en tout cas, absolument aucune expression dans le
programme du parti. Leur démarche revient à inciter par-ci, à dissuader par-là, à récompenser ou à pénaliser les capitalistes selon leur comportement, mais en aucun cas à remettre en cause la
source de leur pouvoir, à savoir la propriété capitaliste.
Résumons. Dans le programme économique du parti – qui, répétons-le, s’inspire largement des idées de Dimicoli – on trouve le prélèvement de 80 milliards d’euros dans les caisses des capitalistes
(l’équivalent de 80% des bénéfices du CAC40). Ensuite, au moins 27 milliards seraient reversés aux capitalistes qui s’endettent, à condition qu’ils aient la gentillesse de faire des profits par
le biais de l’exploitation directe des travailleurs, et non par la « spéculation ». Le tout forme une vaste panoplie de mécanismes de « bonus-malus », selon le comportement
des capitalistes concernés. Le parti réclame aussi des nouveaux droits pour les salariés. Comme le dit Gisèle, « cela doit s’accompagner d’une augmentation considérable des droits
d’intervention réels des salariés et de leurs organisations syndicales, des droits des collectivités locales, départementales, régionales et nationales tant la question du développement de
l’emploi sur nos territoires concerne aussi toutes les collectivités et les citoyens. »
Le problème, c’est que les capitalistes à qui on inflige des taxes massives et à qui on impose toutes sortes de contrôles et contraintes ne vont pas rester passifs. En 1981, face aux réformes
mises en œuvre par le gouvernement de l’époque, ils ont riposté au moyen d’une fuite massive de capitaux et d’une « grève d’investissement ». Si les capitalistes estiment que leurs
profits sont sérieusement menacés, ils procéderont à des fermetures et des délocalisations, ou encore se tourneront davantage vers la « spéculation financière » que les mesures
proposées par le parti sont censées combattre.
Or, que propose le programme du PCF pour empêcher ces fermetures et délocalisations ? Absolument rien. Dimicoli non plus. Sous le capitalisme, les « droits » des salariés ne
peuvent jamais être davantage que les droits des exploités, que les droits des gens à la merci de la classe qui possède les moyens de production et d’échange. Oui, il faut
lutter pour défendre et étendre les droits des salariés, mais il faut expliquer, en même temps, que tant que les capitalistes conservent la propriété des entreprises, ces acquis se
retourneront tôt ou tard contre les travailleurs. Il faut donc lier la lutte pour la défense des droits et des conditions de travail à la nécessité d’exproprier les capitalistes. C’est ce
que fait La Riposte, et c’est ce que ne font pas Dimicoli et la direction actuelle du parti. C’est toute la différence entre le marxisme et le réformisme.
A l’heure où l’économie américaine plonge dans la récession et où les économies européennes s’engagent sur la même pente, les capitalistes redoublent leur offensive contre toutes les conquêtes
sociales du passé. Les réformes fiscales, les subventions, les « bonifications » et autres dispositifs de « bonus-malus », qui forment l’ossature de la politique économique du
parti, s’avéreront complètement impuissants face à la férocité de cette offensive. Le Parti Communiste a besoin d’un programme authentiquement révolutionnaire. Il est grand temps de tourner le
dos aux notions farfelues du réformisme « anti-libéral » et de rétablir les idées, la théorie et le programme du marxisme au sein du PCF.
Jérôme Métellus (PCF Paris)